L’Italie embrasse les idées de l’extrême droite les yeux fermés

Published 09/09/2018 in Planète

L’Italie embrasse les idées de l’extrême droite les yeux fermés
Marine Le Pen et Matteo Salvini, le 28 janvier 2016 à Milan.

Immigration

Le pays n’a pas attendu l’arrivée au pouvoir en juin de la Ligue de Matteo Salvini pour appliquer une politique antimigratoire.

«La présence de la police à bord est nécessaire. Autrement, nous bloquerons les navires.» La menace était dirigée contre les embarcations des associations comme Médecins sans frontières et Save the Children, qui opèrent en Méditerranée pour sauver les migrants. En août 2017, c’est-à-dire moins d’un an avant l’arrivée au pouvoir de la Ligue d’extrême droite de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur italien de l’époque, Marco Minniti, avait ainsi été le premier responsable gouvernemental à lancer une campagne pour contrôler et freiner les ONG. Exigeant que celles-ci signent un code de conduite avec l’Etat avant d’être autorisées à continuer leurs activités en mer, ce haut responsable du Parti démocrate (PD, centre gauche) entendait répondre à l’émotion de l’opinion publique devant l’afflux de réfugiés et à l’annonce d’enquêtes pour complicité avec les trafiquants ouvertes par la magistrature sicilienne. Celles-ci se sont toutes soldées par un non-lieu. Mais entre-temps, la Ligue a alimenté l’idée que les associations étaient «en contact avec les passeurs et la pègre». Et Luigi Di Maio, dirigeant du Mouvement Cinq Etoiles, est allé jusqu’à qualifier les ONG secourables de «taxis de la mer».

«Coup final»

«Certains choix de Minniti ont favorisé la percée de la droite aux élections. Si nous allons à la télévision pour dire que l’immigration est un danger, nous aidons Salvini. La lecture que nous avons faite du phénomène de l’immigration a dédouané celle de l’extrême droite», a récemment reconnu l’ancien secrétaire du Parti démocrate Matteo Orfini. D’autant que Marco Minniti avait aussi brandi la menace de fermer les ports aux navires chargés de migrants pour obliger les partenaires européens à prendre leur part… Ce que Matteo Salvini a mis en œuvre depuis qu’il lui a succédé, en juin, au ministère de l’Intérieur. Le même Minniti a aussi signé des accords de refoulement des embarcations avec les autorités libyennes, s’attirant les critiques de l’écrivain Roberto Saviano. Pour l’auteur de Gomorra, le ministre démocrate a ainsi collaboré avec des chefs de guerre aux «mains couvertes de sang» et «la gauche a ouvert une autoroute sur laquelle fonce aujourd’hui le char Salvini. La doctrine Minniti a été le coup final».

«Face à la vague migratoire et au problème de la gestion des flux soulevé par les maires, j’ai nourri la crainte d’un risque pour la stabilité démocratique du pays», s’est défendu Marco Minniti, qui revendique la chute drastique depuis la fin 2017 du nombre d’arrivées de migrants en Italie. «Nous devions agir comme nous l’avons fait sans plus attendre le soutien des autres pays européens.» Et d’assurer «qu’en arrêtant les débarquements et en réaffirmant la légalité et la sécurité, nous avons fait comprendre quelle était la frontière entre la démocratie et le populisme, qui enchaîne les citoyens à la peur. Nous l’avons fait sans ériger des murs, sans fils barbelés et sans évoquer l’idée d’une invasion».

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Pour l’heure, la ligne officielle du Parti démocrate reste celle de l’accueil des réfugiés, mais aussi de la fermeté contre l’arrivée de nouveaux migrants. Position assez similaire à celle affichée par Emmanuel Macron. Et le projet d’introduire le droit du sol pour les enfants d’étrangers a été renvoyé aux calendes grecques. D’autant qu’un sondage publié en septembre indique que près d’un Italien sur deux estime que «les immigrés sont un danger pour l’ordre public et la sécurité des personnes». «Le tournant au sein du PD s’est opéré avec l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi, en 2014, analyse l’historien Miguel Gotor, ancien député de l’aile gauche du parti. Alors que son prédécesseur Enrico Letta avait lancé l’opération “Mare Nostrum” pour sauver les migrants, Matteo Renzi a repris une partie des mots d’ordre de la droite, du type “il faut les aider dans leur pays”.»

Marxisme

Mais si de nombreux anciens électeurs de gauche se sont tournés vers le Mouvement Cinq Etoiles et acceptent malgré tout l’alliance gouvernementale avec la xénophobe Ligue de Salvini, une partie de la gauche radicale n’est pas non plus insensible aux sirènes populistes. Des essayistes qui se réclament du marxisme, comme Diego Fusaro, extrêmement actif sur les réseaux sociaux et dans les médias, soutiennent à longueur de journée que les migrants ne sont que des nouveaux «esclaves» déportés par le capitalisme globalisé pour faire baisser le coût du travail en Europe.

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ParEric Jozsef, correspondant à Rome

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