En Allemagne, l’AfD fait même déraper la gauche

Published 09/09/2018 in Planète

En Allemagne, l’AfD fait même déraper la gauche
Sahra Wagenknecht, députée membre de Die Linke, assume ses positions antimigratoires.

Immigration

Gênés par la montée et les outrances du parti d’extrême droite, le SPD, les Verts et Die Linke sont partagés sur la stratégie à adopter pour ne pas perdre leurs électeurs.

En Allemagne, l’immigration est devenue le sujet de discussion numéro 1. On doit notamment cela aux vociférations répétées de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). Fondé en 2013, le parti d’extrême droite a fait de cette thématique une obsession politique. Après chacune de ses sorties xénophobes, le même cycle se répète : face à tant d’outrances, les politiques réagissent, les médias embrayent, et la boucle est bouclée. On l’a constaté ces derniers mois. La politique migratoire fut le principal objet de débats lors des législatives de 2017 – le principal point d’achoppement lors des négociations de coalition entre démocrates-chrétiens (CDU-CSU) et sociaux-démocrates (SPD) – le principal sujet de discorde entre Angela Merkel et son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer – menant récemment le gouvernement au bord de l’implosion. Cette semaine, Seehofer a insisté : «L’immigration est la mère de tous les problèmes.»

Couleuvres

Dans ce climat pesant, comment réagissent les gauches allemandes ? Du SPD aux Verts, en passant par Die Linke, une chose les unit : la détestation de Seehofer. «Il est de plus en plus dépeint comme le diable incarné», commente le politologue Michael Bröning. Pour le reste, les stratégies varient. Prenons le SPD. Lors de la signature du contrat de coalition avec la CDU-CSU, le parti a avalé des couleuvres sur l’immigration – mise en place d’un plafond annuel de réfugiés, restrictions en matière de regroupement familial. Son aile gauche a protesté, en vain. Aujourd’hui, sa vision de l’immigration ressemble, selon Michael Bröning, à «un mélange de vœux pieux et de déni». En outre, le parti s’est lancé dans des calculs politiques hasardeux. «Schématiquement, on trouve deux types d’électorat au SPD, explique Tarik Abou-Chadi, du département de sciences politiques de l’université de Zurich. Une classe moyenne urbaine et progressiste, plutôt favorable à l’immigration, majoritaire. Et une classe ouvrière, désormais minoritaire, plus sceptique. Or le discours du parti tourne autour de cet électorat ouvrier, qu’il faudrait récupérer en durcissant le discours. Mais cette stratégie ne paie pas. Non seulement ces électeurs ne reviennent pas, mais le parti s’aliène les plus centristes. Le SPD a plus de succès lorsqu’il défend une politique proeuropéenne et pro-immigration.»

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Le parti écologiste a rencontré les mêmes dilemmes que le SPD lorsqu’il fut question qu’il entre au gouvernement l’an dernier, dans le cadre d’une coalition «jamaïcaine» (réunissant CDU-CSU, Verts et libéraux du FDP). Comment mener une politique de gauche tout en acceptant de plafonner le nombre de réfugiés en Allemagne ? Les Verts n’ont pas eu à répondre à cette douloureuse question : les négociations ont capoté. Peut-être ont-ils ainsi évité le désastre. Lors des législatives de 2017, ils récoltaient 8,9 % des voix. Ils flirtent désormais avec les 14 % dans les sondages, pas loin derrière l’AfD et le SPD, en chute libre.

Matraquage

Concernant Die Linke, il faut distinguer les positions de la cheffe de son groupe parlementaire au Bundestag, Sahra Wagenknecht, de celles du parti. Elle est à l’origine d’un nouveau mouvement, Aufstehen («debout»), qui ambitionne de pousser les partis à replacer la question sociale au cœur des débats. Lors de son lancement, ses principaux initiateurs, dans un nuancier politique allant des Verts au SPD, ont peu évoqué le sujet qui clive. Wagenknecht est en effet l’auteure de déclarations controversées, par exemple en fustigeant, lors de l’attentat du marché de Noël à Berlin en 2016 (12 morts) «l’ouverture incontrôlée des frontières» – propos proches de la rhétorique de l’AfD, même si elle déplore la comparaison.

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Pour résumer, si elle s’est toujours opposée au durcissement du droit d’asile, elle estime aussi que «plus de migrants économiques signifient plus de concurrence pour décrocher des jobs dans le secteur des bas salaires» et qu’«une frontière ouverte à tous, c’est naïf». En congrès, Die Linke l’a désavouée. Mais trois ans de matraquage de l’AfD ont laissé des traces. «Tout le monde a glissé vers la droite sur le sujet. C’est l’air du temps», résume Tarik Abou-Chadi.

ParJohanna Luyssen, correspondante à Berlin

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