Les poulpes sont à la page

Published 02/09/2018 in Sciences

Les poulpes sont à la page
Poulpe squattant une canette près des côtes australiennes, en janvier 2018.

Libé des océans

Deux livres sont sortis cette année pour mieux connaître cet animal à huit bras truffés de neurones, ses capacités étonnantes et son intelligence unique chez les invertébrés.

Entre vidéos virales de poulpes s’échappant d’un bocal et prototypes de robots qui cherchent à imiter ses capacités de camouflage ou de préhension, le céphalopode à huit bras est définitivement à la mode. Le poulpe est agile, le poulpe est marrant, mais surtout, il est très intelligent. Deux livres sont sortis cette année pour apprendre à connaître la nouvelle star des océans, qui détrône le dauphin sur le podium des intellos mignons. Ils valent le détour.

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Dans la cervelle des pieuvres

En refermant le Prince des profondeurs, on n’a qu’un rêve : rencontrer un poulpe. L’approcher dans son milieu naturel, lui dire bonjour. Lui demander son prénom, sans grand espoir qu’il réponde, lui donner le nôtre et le regarder vivre. Interagir avec ses congénères, si possible… Et se laisser émerveiller par cet invertébré qu’on n’avait jamais considéré à sa juste valeur. 

On le croyait solitaire, il s’avère social : le poulpe tend ses bras pour «checker» d’autres membres de son groupe quand il croise leur chemin, et ce geste peut aussi bien déclencher une réponse amicale que provoquer un combat selon les relations entretenues entre individus. Les poulpes semblent avoir une personnalité, un tempérament qui rend complexe leur observation en laboratoire : si Charles le céphalopode préfère arracher la lampe qui éclaire son aquarium et agresser son soigneur en l’arrosant, plutôt que tirer docilement le levier pour obtenir une récompense comme ses deux comparses Albert et Bertram, l’expérience est rendue inutile… Mais on a beaucoup appris sur la variabilité individuelle des poulpes. Ils savent aussi reconnaître les humains, même habillés de façon identique pour les embrouiller, et en prennent certains en grippe pour des raisons qui semblent arbitraires.

De page en page, nos yeux s’écarquillent. Le poulpe joue : il continue de manipuler des objets qu’il a identifiés comme non comestibles. Il transporte des demi-noix de coco entre ses bras pour s’en faire un abri portable qu’il peut dégainer à tout moment – très rares sont les animaux capables de décomposer et reconstruire un abri à volonté. Il semble conscient du regard humain posé sur lui et en joue, soit pour s’enfuir quand le gardien sur deux pattes a les yeux tournés, soit au contraire pour le fixer sans ciller pendant qu’il jette un mauvais bout de calamar décongelé dans la poubelle de l’aquarium, comme un geste de provocation. Il ne produit pas le moindre son, mais il communique avec les couleurs grâce à son superpouvoir de caméléon instantané.

On aurait envie de raconter le livre entier, qui se dévore d’une traite pour qui s’intéresse à l’intelligence animale. Peter Godfrey-Smith, l’auteur, est un philosophe des sciences australien qui s’est pris de passion pour les céphalopodes. Quand il ne plonge pas lui-même pour explorer Octopolis, une «cité» sous-marine où interagissent des dizaines de poulpes dans une baie australienne, il échange avec les biologistes les plus fins connaisseurs des céphalopodes pour retranscrire les résultats de leurs recherches, raconter leurs anecdotes, mettre leur travail en perspective et interroger nos préjugés sur la conscience animale. Tout simplement fascinant.

Le Prince des profondeurs – L’intelligence exceptionnelle des poulpes, de Peter Godfrey-Smith chez Flammarion, février 2018. 21 €.

Visite guidée au pays de Poulpi

«Au sein du groupe, on s’entraide pour chasser. On se cache dans le sable et, dès qu’on voit passer un crabe, on lui saute dessus. On est plus rapides que l’éclair. Souvent, on suit les plus vieux de nos poulpes, on les épie pour voir comment ils font, et hop, on essaie à notre tour.»

«Les poulpes, futurs maîtres du monde ?» chez Actes Sud Junior

C’est Poulpi qui tient la plume : l’enfant-poulpe raconte sa vie aux enfants-humains et leur fait visiter son royaume au fond des mers. Il nous présente Paul, le chef du groupe, qui choisit les tanières pour tout le monde, Ben, le poulpe caractériel qui fait peur à Poulpi quand il devient tout noir, ou encore Dumbo, le drôle de poulpe aux grandes oreilles venu des abysses. Il nous parle des humains qui jettent plein de boîtes et de filets dans la mer, et de ses parents qu’il n’a jamais connus. Poulpi nous entraîne même dans ses jeux – «des parties de roule-ta noix de coco» et de cache-cache-coquillage pas fictives du tout, car toutes les anecdotes narrées par le petit céphalopode s’appuient sur des observations réelles et les études scientifiques les plus récentes en la matière.

Ainsi, on a vraiment vu des pieuvres trottiner au fond de l’eau avec une noix de coco entre les pattes, la transportant comme un abri portable pour s’y camoufler en cas de besoin… Et les poulpes en aquarium à qui l’on donne des objets sans intérêt comme une bouteille en plastique ou des pièces de Lego semblent s’amuser à les faire virevolter en projetant de l’eau dessus. 

Les poulpes, futurs maîtres du monde ? est construit par chapitres thématiques. Chacun s’ouvre sur une petite histoire de Poulpi, écrite en gros caractères et avec des mots simples pour être accessible aux lecteurs les plus jeunes. Elle est suivie par une ou deux doubles pages plus denses en informations, qui détaillent ce que l’on sait aujourd’hui de ces invertébrés pas comme les autres (leur habitat, la reproduction, la vie en collectivité…) et les expériences scientifiques qui permettent de découvrir petit à petit l’étendue de leur intelligence. Le tout est illustré par des aquarelles absolument adorables de l’artiste iranien Pooya Abbasian.

Les poulpes, futurs maîtres du monde ? de Claire Lecœuvre, illustré par Pooya Abbasian, chez Actes Sud Junior, janvier 2018. À partir de 7 ans. 15 €.

ParCamille Gévaudan

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