Procès Pastor : de la petite frappe au gendre consul

Published 16/09/2018 in France

Procès Pastor : de la petite frappe au gendre consul
Hélène Pastor, en 1999.

Justice

Dix accusés comparaissent à partir de ce lundi devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence, quatre ans après l’assassinat de la milliardaire monégasque Hélène Pastor et de son chauffeur Mohamed Darwich.

Sur son lit d’hôpital, une femme agonisante regarde les policiers et murmure dans un râle : «Il était de couleur noire et était habillé de sombre. Je ne sais pas si je pourrais le reconnaître, je n’avais jamais vu cet homme auparavant.» Le corps d’Hélène Pastor, 77 ans, l’une des figures les plus riches de la principauté de Monaco – après avoir hérité de son père, magnat de l’immobilier – est criblé de plombs. Longs silences. Elle tente de raconter : «Il avait un fusil avec un tube et il a manipulé l’arme. J’ai dit à Mohamed : “Allez, vite, vite, on va nous tirer dessus.” Il a tiré en premier sur moi. J’ai eu très mal au cou, au visage et à la poitrine. Il a tiré une deuxième fois et j’ai vu que Mohamed saignait du ventre.» Lorsque les enquêteurs lui soumettent une planche comportant six photographies pour qu’elle tente d’identifier son assaillant, elle est submergée par le stress. S’étouffe. Puis souffle : «J’ai peur, je veux vous revoir car j’ai d’autres choses à dire.» Ce seront ses derniers mots à la justice. Hélène Pastor est emportée par un choc septique quinze jours après l’attaque du 6 mai 2014. Quant à Mohamed Darwich, son chauffeur et homme de confiance de 64 ans, il mourra, lui aussi, des suites de ses blessures.

«Charclage»

Cinq ans plus tard, dix personnes vont prendre place dans le box des accusés de la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Exécutants ou têtes pensantes, ils sont mis en cause à divers degrés dans le double assassinat. Il y a ceux qui ont imaginé, ceux qui ont joué les entremetteurs, ceux qui ont fourni les armes, ceux qui ont appuyé sur la détente. La célèbre «affaire Pastor» est un véritable polar familial, une sombre histoire de rancœur, de trahison et d’argent.

Selon les mots du juge d’instruction, c’est grâce à «un fil méticuleusement tiré» que les policiers ont pu élucider l’énigme. Plus précisément : les images de vidéosurveillance. On y voit d’abord le déroulé de la scène de crime. A 18 h 34, ce 6 mai 2014, un homme portant une casquette rouge joue les guetteurs devant l’hôpital l’Archet de Nice. Treize minutes plus tard, il est rejoint par un deuxième type, tout de noir vêtu, qui sort d’un taxi. Les deux comparses se postent sur le trottoir, de chaque côté de la sortie des voitures. Hélène Pastor est encore à l’intérieur. Comme chaque jour après son travail (la gestion de sa fortune), elle est venue rendre visite à son fils Gildo, 47 ans, victime d’un accident vasculaire cérébral. Lorsqu’elle ressort à bord de son monospace, l’homme en noir, armé d’un fusil de chasse à canon scié, s’approche et fait feu à deux reprises. Impossible de l’identifier, la qualité de la vidéo est trop mauvaise. C’est en cherchant auprès des compagnies de taxis que les enquêteurs font mouche. Ils obtiennent à la fois une description physique et des numéros de «téléphones occultes» qui ont été achetés le matin même.

La vidéosurveillance sera encore précieuse : elle permet de reconnaître les deux hommes dans la gare de Marseille et dans celle de Nice. Puis de les suivre jusqu’à une chambre d’hôtel. Erreur fatale, l’un d’eux y a laissé un flacon de gel douche. Ne reste plus qu’à prélever la trace ADN et la passer dans la moulinette du Fichier national des empreintes génétiques pour que la magie opère : il s’appelle Samine Said Ahmed. L’autre aussi va commettre une bévue : il jette la carte SIM de son téléphone mais continue d’utiliser l’appareil. Résultat, les policiers remontent jusqu’à un certain Al Hair Hamadi. La suite est une sorte de toile d’araignée formée par une multitude de lignes téléphoniques. Tant et si bien que les identités tombent en cascade. Et que les policiers se retrouvent face à une étonnante galerie de personnages : un auto-entrepreneur, un chômeur, un peintre en bâtiment, un gendarme, un coach sportif, un gérant de sociétés… Le 23 juin 2014, ils passent à l’action. Coup de filet général, tout ce petit monde se retrouve simultanément en garde à vue.

L’affaire Pastor devient alors littérature : c’est un flot de déclarations, d’aveux, de circonvolutions et de rétractations, qu’il appartiendra désormais aux jurés de la cour d’assises de démêler. Commençons par Al Hair Hamadi. On ne peut pas dire qu’il donne du fil à retordre aux enquêteurs : «Bon, d’accord, je vais vous dire ce qui s’est passé depuis le début.» Il raconte comment «un gars» lui a proposé un «job» qui promettait «de rapporter beaucoup d’argent». Vu la somme, c’est forcément pour un «charclage», devine-t-il. Il commence par refuser, arguant de son incompétence en la matière. Mais l’autre insiste, puis lui présente un autre homme, «le Blanc», qui a un argument irrésistible : 50 000 euros. Soit «les tarifs pratiqués à Nice».

«Je suis pas gagnant»

Al Hair Hamadi, qui se déplace en permanence avec Salim Youssouf, son «inspecteur Derrick», se dit qu’il pourrait très bien lui refiler le sale boulot. Après tout, c’est un gendarme. Sauf que l’intéressé se désiste. Face à cet «incapable», il dit s’adjoindre les services de Samine Said Ahmed qui, lui, «a toutes les qualités de l’exécutant». A savoir : «Il ne réfléchissait pas.» Le 6 mai 2014, ils se rendent ensemble à l’hôpital et «l’autre fait son boulot de tireur». Non sans un petit cafouillage après qu’Al Hair Hamadi s’était simplement gratté la tête et que son acolyte avait cru que c’était le top départ.

Finalement, «il a tiré côté passager parce que la cible, c’était la femme. Puis il a tiré une deuxième fois pour être sûr de ne pas l’avoir ratée, enfin je pense», détaille Hamadi. Devant le juge d’instruction, il admet avec une certaine lucidité : «Là, je vais faire beaucoup d’années de prison pour de l’argent et ça paiera pas les frais d’avocat. Finalement, je suis pas gagnant.» Plus tard, il changera de version pour soutenir «qu’il pensait participer à un braquage et non à un double assassinat».

De son côté, Samine Said Ahmed est nettement moins loquace : «Moi, les choses sont claires, monsieur le juge. Comme je vous l’ai dit depuis le début, je n’ai rien à faire de près ni de loin avec cette affaire.» Néanmoins, grâce aux déclarations des uns et des autres, la pyramide de responsabilités se dessine peu à peu. Au-dessus des deux petites mains, apparaît un certain Abdelkader Belkhatir. Il est le passeur de messages (et de billets), celui qui reconnaît avoir mis en relation Al Hair Hamadi avec «le Blanc», à savoir Pascal Dauriac, son beau-frère. Abdelkader Belkhatir soutient qu’il ignorait ce qui se tramait exactement, qu’il est resté «cloué» quand il a appris l’identité de la victime. Pascal Dauriac lui aurait seulement dit qu’il travaillait pour un client, «un Polonais qui faisait des affaires bizarres et qui voulait éliminer quelqu’un qui le gênait». L’entrée en scène de Pascal Dauriac permet de faire le lien entre la pègre marseillaise et les hautes sphères monégasques.

Le quadragénaire officie en effet en tant que coach sportif pour le gratin de la Côte d’Azur. En garde à vue, il veut bien endosser un rôle d’organisateur, mais pointe son doigt vers le haut pour désigner l’instigateur. Il explique que Wojciech Janowski, l’un de ses fidèles clients depuis treize ans, l’aurait «manipulé» pour le contraindre à «liquider [sa] belle-mère». Le coach dépeint une relation d’emprise entre cadeaux et menaces afin qu’il accepte de se débarrasser de l’héritière monégasque, décrite comme «un monstre», «quelqu’un sans cœur et sans pitié». La prime était alléchante : 140 000 euros.

«Maltraitance psychique»

Cette fois, on arrive tout en haut du Rocher. Drôle de personnage que Wojciech Janowski. Né à Varsovie, il a rencontré la fille d’Hélène Pastor, Sylvia Ratkowski (qui sera tout de suite mise hors de cause et qui s’est porté partie civile), en 1986 alors qu’elle venait de se séparer de son premier époux. Ils vivent ensemble depuis près de trente ans, ne sont pas mariés, ont une fille ensemble et une autre de la première union de Sylvia. L’homme présente bien sous tous rapports : il a créé une association de lutte contre l’autisme, il est consul de Pologne à Monaco et gérant de sociétés (on découvrira finalement qu’elles ne servent de prétexte qu’à une incroyable cavalerie financière…).

En garde à vue, il déplore cette «tragédie qui a touché quelqu’un qui nous était cher et membre de la famille très proche», «un deuil permanent». Puis, change d’avis, cherche «les mots justes». Ceux avec lesquels il s’emploie à décrire Pascal Dauriac comme tenant le «rôle primordial», relatant un «chantage» et de l’«extorsion» de la part de son coach qu’il aurait seulement payé pour recevoir une protection et non pour un assassinat. «Je n’ai jamais connu une belle-mère comme ça, c’était un rêve pour moi», dit-il. Puis volte-face encore : «Oui, j’ai commandité ce meurtre», reconnaît-il, expliquant «la maltraitance psychique sur [sa] femme» exercée par Hélène Pastor. Enfin, dernière version devant le juge : ses aveux ne seraient dus qu’à une mauvaise connaissance de la langue française alors qu’il n’était assisté ni d’avocat ni d’interprète.

Néanmoins, pour le magistrat instructeur, le mobile est clair : n’étant pas couché sur le testament de sa compagne – atteinte d’un cancer – Wojciech Janowski n’aurait rien touché à sa mort. Sans compter que le reste de la famille ne le portait pas dans son cœur, le considérant comme un parvenu. «En provoquant le décès prématuré d’Hélène Pastor, il permettait à sa fille d’hériter d’une part importante de la fortune de sa mère dont il pouvait alors espérer prendre le contrôle», est-il écrit dans l’ordonnance de renvoi. Ce dont l’intéressé se défend vigoureusement. En face de lui, sur le banc des parties civiles, se tiendra une bonne partie de la famille Pastor. Sans oublier celle de Mohamed Darwich, qui avait deux enfants. Les jurés auront jusqu’au 19 octobre pour tenter d’élucider la mort de l’héritière monégasque.

ParJulie Brafman

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields