Brexit : le gouvernement britannique approuve le projet d’accord de retrait de l’UE

Published 14/11/2018 in Planète

Brexit : le gouvernement britannique approuve le projet d’accord de retrait de l’UE
Theresa May quitte le 10 Downing Street à Londres, le 14 novembre 2018

Un long chemin

Après plus de cinq heures et demi de débats «passionnés», le gouvernement de Theresa May a approuvé le projet d’accord de retrait de l’UE, un premier pas «décisif», mais un premier pas seulement.

Pas de bouchons de champagne dégoupillés, pas de vrais sourires ni même de soupirs de soulagement. La fumée blanche est bien sortie, mercredi en début de soirée, mais toute célébration ou manifestation de satisfaction ont été annulées. Après cinq heures et demi de réunion avec ses principaux ministres – et autant de rumeurs diverses et variées, dont celle d’une démission imminente – la Première ministre britannique Theresa May est apparue, la mine grave, devant la fameuse porte noire du 10, Downing Street. Elle a annoncé que son cabinet avait finalement approuvé le projet d’accord trouvé la veille à Bruxelles sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le document de 585 pages, qui a été rendu public à Bruxelles une demi-heure après la déclaration de Theresa May, règle les principes de la séparation, notamment le règlement financier, la situation des citoyens européens au Royaume-Uni et des Britanniques dans l’UE et la question épineuse de la frontière de l’Irlande du Nord.

«Le projet d’accord de retrait est le meilleur qui aurait pu être négocié. La décision collective du cabinet est que le gouvernement doit soutenir ce projet d’accord», a déclaré la Première ministre britannique. Ce projet d’accord est «fermement dans l’intérêt national», a-t-elle répété à plusieurs reprises. «Cette décision protège les emplois et l’union» du royaume. «Après des débats longs, détaillés et passionnés», cette décision, qui «n’a pas été prise à la légère», sera «scrutée intensément», a-t-elle reconnu. Après avoir confirmé qu’elle s’exprimerait dès jeudi devant le parlement britannique, Theresa May a marqué une pause avant de conclure sa courte déclaration solennellement : «Je crois fermement, du fond du cœur et dans ma tête, qu’il s’agit d’une décision dans les meilleurs intérêts de l’ensemble du Royaume-Uni.»

Rejet du projet d’accord

Il s’agit d’un premier pas décisif dans la marche vers le Brexit souhaité par 52 % des Britanniques lors du référendum du 23 juin 2016. Pourtant, au Royaume-Uni, nul n’est satisfait. Ni les plus ardents des Brexiters, comme Boris Johnson ou Jacob Rees-Mogg qui vilipendent un accord qui «vassalise» le Royaume-Uni, voire le réduit à un «état esclave» de l’Union européenne. Pas les Remainers, comme l’ancien Premier ministre travailliste Tony Blair, qui jugent cet accord pire que tout, parce que «sous prétexte de reprendre le contrôle, nous perdons en fait tout le contrôle dont nous disposions». Avant même d’en prendre connaissance, les Ecossais, les Gallois et les unionistes Nord-Irlandais ont également lourdement critiqué le projet d’accord.

Toute la journée, devant le parlement de Westminster et le 10, Downing Street, opposants au Brexit et partisans du Leave ont manifesté bruyamment à quelques mètres les uns des autres, pour une fois d’accord sur leur rejet du projet d’accord. Toute la journée, les spéculations sur des démissions de ministres ont flotté et puis, alors que les débats se prolongeaient, les rumeurs sur un vote de défiance contre Theresa May lancé jeudi au parlement, sont aussi apparues. Pour convaincre les vingt-et-un ministres de son cabinet, elle aura insisté sur une concession majeure qu’elle estime avoir arrachée à l’Union européenne. A la fin de la période de transition, en principe fin 2020 – qui suivra la sortie officielle de l’UE du Royaume-Uni le 29 mars 2019 – le pays demeurera dans une union douanière avec l’UE, ce qui exonérera le Royaume-Uni de tout droit de douane. Cette union douanière durera le temps qu’un accord de libre-échange ou toute autre forme de nouvelle relation soit conclu. Cette solution permet de résoudre la question de la frontière avec l’Irlande du Nord qui empoisonnait les négociations depuis des mois. L’UE était initialement opposée à cette proposition, mais a finalement cédé, en échange de lourdes concessions de Londres.

Union douanière

Londres et Bruxelles s’étaient mis d’accord en décembre dernier pour respecter l’absence de frontière douanière entre la province d’Irlande du Nord et la république d’Irlande. Cette ligne de 499 kilomètres sera la seule frontière terrestre entre l’UE et le Royaume-Uni post-Brexit. En englobant tout le Royaume-Uni dans une union douanière, la perspective de traiter l’Irlande du Nord différemment du reste du pays est plus ou moins écartée. Cette perspective était considérée comme inacceptable par les unionistes du petit parti du Democratic Unionist Party (DUP), dont les dix députés assurent à Theresa May une majorité au parlement. Pourtant, l’accord trouvé pourrait impliquer un degré d’intégration supérieure pour l’Irlande du Nord, avec notamment l’obligation de respecter les règles du marché unique. Le DUP a d’ores et déjà prévenu ne pas pouvoir accepter ce détail et cette perspective a aussi rendu furieux les députés écossais et gallois qui y voient un futur avantage commercial pour l’Irlande du Nord.

En échange d’une union douanière, Theresa May a accepté que le Royaume-Uni continue de respecter la réglementation européenne en matière sociale, environnementale, fiscale et d’aides de l’Etat. De même, toute décision de mettre fin à cette union douanière ne pourra être prise unilatéralement par Londres. Les pêcheurs écossais craignent également que l’accord prévoit que les bateaux de l’UE continuent à pouvoir pêcher dans les eaux territoriales britanniques, ce qu’ils jugent contraire à toute idée de Brexit.

Même arrachée dans la douleur, l’approbation du cabinet britannique ne représente que la première étape d’un très long chemin de croix. Les ambassadeurs de l’UE devaient se réunir dans la soirée pour discuter du projet d’accord avant d’aller en rendre compte à leurs vingt-sept pays respectifs. Si le projet élaboré par l’équipe de négociateurs européens autour de Michel Barnier et britanniques autour d’Olly Robbins satisfait les Vingt-Sept, un conseil européen exceptionnel devrait être rapidement fixé, peut-être le 25 novembre.

May joue gros

Ensuite, très rapidement, Theresa May présentera devant le parlement britannique cet accord de retrait pour des débats suivis d’un vote. A l’heure actuelle, une majorité des 650 députés du parlement est contre le Brexit. Rien ne dit que Theresa May parviendra à convaincre assez de députés de voter en faveur de cet accord, sous peine de n’avoir comme seule alternative qu’un départ de l’UE sans accord, aux conséquences économiques très douloureuses. Pour le moment, l’humeur au parlement, au sein de tous les partis, est au rejet de cet accord.

Si pourtant il était finalement voté, peut-être autour du 10 décembre, il devra ensuite être adopté par le Parlement européen de Strasbourg, probablement début janvier. C’est seulement à ce moment-là que pourront débuter les nouvelles négociations sur la relation future. Une première ébauche, une forme de grille de souhaits sur quelques pages, devrait être formulée dans la déclaration politique qui accompagnera l’accord de retrait.

Si, en revanche, le parlement britannique rejetait l’accord, toutes les possibilités restent ouvertes. Démission ou renversement de Theresa May, nouvelles élections voire même la décision de remettre entre les mains des Britanniques la décision ultime de quitter l’UE avec cet accord, toutes les options resteraient ouvertes. Le Brexit n’est peut-être pas encore tout à fait pour demain.

ParSonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres

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