«Le temps du climat n’est pas celui des politiques»

Published 27/11/2018 in Planète

«Le temps du climat n’est pas celui des politiques»
L’île du Roi-George, océan Antarctique, en février.

Environnement

La très grande majorité des pays sont hors des clous pour respecter l’accord de Paris pour contenir le réchauffement climatique, alertent les Nations unies ce mardi dans un rapport. Il est cependant possible de redresser la barre si on agit très rapidement, explique Philip Drost, l’un des auteurs du document.

L’information tombe à point nommé en pleine tempête politico-sociale des «gilets jaunes» : la très grande majorité des pays sont hors des clous pour respecter l’accord de Paris, et même leurs propres objectifs climat. Le rapport présenté par le Programme pour l’environnement des Nations unies (Unep), ce mardi, est sans ambiguïté. Le monde est très en retard pour réduire l’«emissions gap», soit l’écart entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) actuelles et celles nécessaires pour limiter le réchauffement bien en-deçà de 2°C d’ici la fin du siècle. Pourtant, le rapport assure qu’il est possible de redresser la barre, si on agit très rapidement. Philip Drost est un des auteurs du rapport et chef de programme à l’Unep. Il détaille les leviers les plus efficaces pour y arriver.

Quels sont les principaux moyens d’action pour rattraper le retard pris pour limiter la hausse des températures à 2°C ?

Il y a des opportunités dans de nombreux secteurs, de la rénovation énergétique, aux désinvestissements du charbon, en passant par les politiques de fiscalité verte. Mais, surtout, le rôle des gouvernements est extrêmement important. Ils doivent revoir à la hausse leurs objectifs climatiques et déterminer clairement les moyens d’action pour les réaliser. Ils ont encore un gros pouvoir d’influence pour permettre à la transition écologique d’aboutir.

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Et les acteurs non-étatiques ?

Les villes, gouvernements régionaux et entreprises doivent aussi accentuer à leur niveau leurs actions. Des maires, comme Anne Hidalgo à Paris, sont déjà en pointe sur le sujet. D’après de récentes estimations, les acteurs non-étatiques ont le moyen d’éviter l’émission de 19 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère d’ici 2100. Ce qui permettrait de respecter les 2°C de hausse des températures. Pour cela, on a besoin de beaucoup plus d’efforts qu’actuellement. De plus, ces acteurs se doivent d’être plus transparents sur leurs actions. J’observe souvent le phénomène de l’initiative selfie. Une fois que la photo sur le podium est passée, on n’entend plus parler des engagements pris. Etre plus transparent est aussi à leur avantage. Cela permet d’éviter l’impression de «greenwashing» [communication écolo mensongère, ndlr] et de montrer sa sincérité aux citoyens.

En France, le mouvement des «gilets jaunes» montre que les taxes carbone peuvent exacerber les inégalités sociales. Comment les gouvernements peuvent-ils surmonter ces obstacles ?

Notre rapport est en effet publié au bon moment en France. Nos conclusions sont explicites. Si les gouvernements veulent que leurs mesures de fiscalité verte soient acceptées socialement, elles doivent être pensées comme un tout : en prenant en compte les questions d’égalité sociale, d’investissements et d’emplois. Sans cela, elles ne peuvent pas réussir. Dans le monde, nous avons recensé 51 initiatives de tarification du carbone. Elles couvrent 15% des émissions de GES mondiales. Seulement, dans la majorité, les prix du CO2 fixés sont trop bas et les politiques ne sont pas axées sur la transition écologique.

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Ce retard est-il dû à un manque de volonté politique ? L’urgence climatique n’est-elle pas assimilée par les dirigeants ?

En plus d’un écart des émissions, il y a un écart de l’action. De plus en plus de gouvernements commencent à comprendre l’impératif de lutter contre le dérèglement climatique. Seulement, le temps du climat est long, il n’est pas celui des politiques. Il faut penser des stratégies pour 2030, 2050 et même 2100. Les personnalités politiques en place aujourd’hui savent qu’elles ne seront sûrement plus là à ces échéances. Les lignes bougent tout de même. On voit des banques centrales comme au Royaume-Uni et aux Pays-Bas s’exprimer sur le danger que représente le climat pour leurs investissements. Certains pourraient perdre toute leur valeur.

Le rapport évoque aussi les techniques de retrait du CO2 de l’atmosphère, ou émissions négatives. Sont-elles fiables ?

Nous avons évalué le fort potentiel des moyens naturels de capture de carbone, comme planter des forêts. Nous nous sommes aussi penchés sur l’intérêt des techniques dites de géoingenierie, comme envoyer des gaz aérosols dans l’atmosphère pour refléter les rayons du soleil et faire baisser la température. Seulement, on ne connaît pas encore les conséquences de telles expérimentations à l’échelle planétaire. Elles pourraient bouleverser gravement des équilibres vitaux. Nous devons appliquer le principe de précaution et ne pas compter sur ces techniques avant d’être sûrs de leurs effets.

ParAude Massiot

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