Des «mesures nouvelles», mais lesquelles ?

Published 09/12/2018 in France

Des «mesures nouvelles», mais lesquelles ?
Des gilets jaunes se rendent au péage de Vintimille en Italie, samedi.

Prise de parole

Députés et ministres de La République en marche sont divisés entre les partisans d’une «ligne dure» et ceux qui réclament un changement de cap.

Ce sera, pour Emmanuel Macron, la première expression publique sur le territoire national depuis deux semaines. L’Elysée travaillait encore dimanche sur l’intervention du chef de l’Etat, prévue ce lundi à 20 heures, et censée rompre avec l’impuissance de la parole publique face au mouvement des gilets jaunes. Trop tardives, trop confuses, les concessions successives de l’exécutif lui coûteront 4,5 milliards d’euros en 2019, sans avoir eu d’impact évident sur la contestation. Contactés par Libération, différents ministres et députés s’avouaient ignorants du contenu de cette intervention. Mais affichaient à son égard des attentes différentes : certains plaidant pour des mesures coup-de-poing sur le pouvoir d’achat et le lien Etat-citoyen – d’autres pour une rupture moins franche avec la politique des dix-huit derniers mois.

«Il faudra annoncer des mesures nouvelles, pas simplement annuler ou rétablir des dispositifs anciens», juge un membre du gouvernement, vent debout contre une «technostructure» jugée inerte face aux réformes macroniennes. «Ce qui nous a fait mal, ce sont les arguties des semaines passées, quand il fallait des annonces en mode complément-sujet-verbe.» Le député LREM Pierre Person, numéro 2 du parti, plaide à son tour «pour des mesures énergiques. Il faut un effet de souffle qui coupe le cordon entre l’opinion publique et les manifestants radicaux. Je plaide pour un volet social et un volet institutionnel forts : pourquoi pas une reconnaissance du vote blanc ?» Mais le jeune élu reconnaît que sa ligne n’est pas «majoritaire» autour du chef de l’Etat.

«Détricoter». D’autres, en effet, sont moins enclins à renverser la table.«Attendre que le Président fournisse toutes les solutions, ce serait ne pas comprendre la période actuelle, estime auprès de Libé le député LREM Stanislas Guerini, nouveau patron du parti. Ce que disent les gens, c’est que les solutions doivent être construites avec le terrain. Macron pourra en revanche donner des pistes sur la manière dont on va construire ce débat.» Alors que les gilets jaunes et une partie de la majorité espèrent des gestes ambitieux pour le pouvoir d’achat, l’élu relativise : «On a annoncé en deux semaines 500 millions d’euros d’aides, puis l’annulation de hausses de taxes pour un coût de 4 milliards, et on voit bien que cela n’a pas touché les gens autant qu’espéré.» Un macroniste de la première heure abonde, plaidant pour une «ligne dure» : «Autour de moi, tout le monde s’affole et envisage de tout lâcher : le retour de l’ISF, la revalorisation des retraites… Si c’est pour tout détricoter, pas la peine de s’être fait élire !» L’Elysée a de fait écarté mercredi tout retour de l’ISF.

Implication. Une série de mesures «monétaires» circulent toutefois dans le camp présidentiel : hausse du smic au-delà de la revalorisation légale de 1,8 % pour 2019 (même si la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a maintenu dimanche soir que le gouvernement n’y toucherait pas), coup de pouce à la prime d’activité ou au minimum vieillesse, «prime mobilité» ou soutien à l’achat du véhicule, baisse de l’impôt sur le revenu… Même s’il n’y voit pas «forcément un sujet» pour l’intervention présidentielle, le député LREM Jacques Maire espère un geste sur les retraites, dont la revalorisation a été bloquée à 0,3 % pour les deux prochaines années : «Ce n’est pas jouable. On essaie de boucler le budget par un coup de rabot, sans raisonnement économique ou social. C’est une bombe à retardement.»

Parmi les rares pistes de l’exécutif, l’idée d’une prime de fin d’année versée par les entreprises aux salariés, que l’Etat s’engagerait à défiscaliser. Et une accélération des baisses de prélèvement déjà programmée, comme celle de la taxe d’habitation, laquelle doit s’éteindre pour 80 % des Français en 2020, ou la «désocialisation» des heures supplémentaires, prévue en septembre. Sur ce dernier levier, une «défiscalisation» comme sous Sarkozy serait même sur la table.

Macron est enfin attendu sur une autre revendication : une plus grande implication des citoyens dans la décision politique. Un thème qui pourrait enrichir la réforme institutionnelle, qui prévoit déjà d’élire une partie des députés à la proportionnelle. Reste à financer ces éventuelles dépenses supplémentaires. Avec un déficit attendu à 2,8 % l’an prochain, des mesures ambitieuses demanderaient de douloureuses économies soit sur le fonctionnement de l’Etat, soit sur les gestes fiscaux pour les entreprises prévus pour 2019. Sauf à s’affranchir, pour un an, des règles budgétaires européennes, une idée que certains dans la majorité dédramatisent déjà. Que l’exécutif soit prêt à l’envisager donnerait la mesure de son inquiétude face à l’état de l’opinion.

 

ParDominique Albertini

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