Les gilets jaunes, étouffés par la gangrène antisémite

Published 18/02/2019 in https:2019/02/18/

Les gilets jaunes, étouffés par la gangrène antisémite
Des gilets jaunes faisant des quenelles, le 5 janvier, sur les Champs-Elysées.

Analyse

Très mobilisés, les adeptes d’Alain Soral ou de Dieudonné sont de plus en plus présents dans les défilés, au grand dam des manifestants défendant leur pouvoir d’achat.

Antisémite, le mouvement des gilets jaunes ? Plutôt gangrené par des militants antisémites, propageant leurs idées à la faveur des défilés chaque week-end depuis trois mois. Bien qu’il soit né de revendications sociales et qu’il regroupe des manifestants n’arrivant pas à boucler leurs fins de mois, chaque samedi a été l’occasion d’actes graves ciblant la communauté juive. Sans que l’on puisse les attribuer aux gilets jaunes en général, mais sans qu’on puisse non plus les attribuer à d’autres. Parce que «le fait que l’horizontalité prime, que le mouvement n’ait ni cortège constitué ni service d’ordre est une porte ouverte à tout le monde, explique le politologue Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean-Jaurès. Cela comprend des groupuscules qui, s’ils ne se montraient pas dans les manifestations, resteraient totalement inconnus.»

Les quenelles du Sacré-Cœur

Quand il y a des manifestations massives et régulières à Paris, «ces gens-là sautent sur l’occasion». Avant l’agression d’Alain Finkielkraut samedi aux cris de «barre-toi, sale sioniste de merde. Rentre chez toi en Israël», l’antisémitisme dans les cortèges, cela a donné ces cinq hommes vus au croisement de deux artères parisiennes le 24 novembre chantant «Manu, la sens-tu, qui se glisse dans ton cul, la quenelle ?», un geste subversif inventé par le polémiste antisémite Dieudonné. Le premier de la bande enchaînera deux saluts nazis.

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C’est la présence, ce jour-là dans le cortège, du militant négationniste Hervé Ryssen, un adorateur de Robert Faurisson. Ou celle, la semaine suivante, d’Yvan Benedetti, ancien du Front national (aujourd’hui Rassemblement national). L’homme dirige le Parti nationaliste français, qui s’est ouvertement déclaré par le passé «antisioniste, antisémite, antijuif».

Ce sont aussi ces inscriptions, lues au dos du gilet fluo d’un manifestant sur les Champs-Elysées début décembre : une pyramide franc-maçonnique et des étoiles de David barrées au stylo avec le texte «Omnia sunt judeum» («ils sont tous juifs»).

Ou encore cet homme, éructant devant une télévision étrangère, que les «Rothschild ne sont pas les bienvenus en France» avec, sur sa poitrine, un logo ananas, en référence à la chanson Shoah ananas devenue l’un des hymnes officieux du dieudonnisme.

C’est également cette banderole, déroulée le 18 décembre au matin, sur un rond-point dans les environs de Lyon, où l’on pouvait lire «Macron=Drahi=Attali=Banques=Médias=Sion».

Pour le grand public, l’antisémitisme latent de certains manifestants apparaît au grand jour à Paris, le 22 décembre, quand un groupe de gilets jaunes se met à faire des quenelles devant le Sacré-Cœur, à Montmartre. D’autres reproduiront la scène le 12 janvier sur le parking Séraucourt, à Bourges.

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C’est enfin ce texte, photographié lors de «l’acte IX» des gilets jaunes sur une barrière de chantier d’une grande avenue parisienne : «Macron, démission, en prison, pute à juifs, pendaison.»

De son côté, l’ancien humoriste Dieudonné a mis en vente sur son site des gilets fluo marqués d’un ananas avec dans le dos le texte : «Macron la sens-tu la quenelle ?»«Quand Ryssen se retrouve en gilet jaune en une de Paris Match, c’est inespéré pour lui, estime Jean-Yves Camus. Alors il revient. Fatalement. Benedetti, c’est pareil, depuis le début des manifestations, on ne parle que de lui», alors que son groupuscule ne pèse rien du tout.

«Il faut dissocier les cons des autres…»

L’enjeu pour les gilets jaunes revient à condamner à chaque fois les agissements qui nuisent à l’image de leur mouvement. Ce qui prend le pas sur leurs revendications et ce qui est extrêmement compliqué en raison du «mode organisationnel où l’expression populaire passe sans filtre, et qu’il n’y a aucun leader ni porte-parole pour parler en leur nom, puisqu’ils en rejettent l’idée», souligne le politologue. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains gilets jaunes cherchent à relancer les blocages des ronds-points en province, considérant ces opérations moins sujettes à infiltration. Mais aussi moins marquantes médiatiquement. A Paris, un effet loupe joue depuis quelques semaines. «Moins il y a de manifestants, plus les antisémites sont visibles», estime Jean-Yves Camus.

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Dimanche, un coordinateur des gilets jaunes de Seine-et-Marne expliquait à Libération à quel point l’altercation visant Alain Finkielkraut discréditerait le mouvement pour longtemps : «Il faut dissocier les cons des autres mais la question de l’image et du message est extrêmement importante, et là ça va être dur de remonter la pente.» Surtout si les actes antisémites continuaient à se multiplier en marge des défilés. Là encore, il y a un hic. Le mouvement des gilets jaunes, qui rejette le «système» en général, agrège des citoyens en rupture de ban avec la presse traditionnelle et qui s’informent en grande partie sur Facebook. Ce qui les rend plus perméables aux informations trompeuses, aux thèses complotistes, et donc antisémites.

«Quand le discours c’est que l’oligarchie est partout et gouverne, il y a une porosité inévitable, explique Jean-Yves Camus. Il s’agit du fantasme du juif cosmopolite, apatride et riche, qui tient le monde dans ses mains, le pouvoir médiatique, financier et politique. On est dans un schéma vieux comme le monde.»

ParTristan Berteloot

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