Irréconciliables sur la Shoah, la Pologne et Israël font imploser le sommet de Visegrad à Jérusalem

Published 18/02/2019 in https:2019/02/18/

Irréconciliables sur la Shoah, la Pologne et Israël font imploser le sommet de Visegrad à Jérusalem
Gilad Ardan, Benyamin Nétanyahou et Yisrael Katz Katz durant une session parlementaire à Jerusalem, le 26 décembre.

Polémique

Une nouvelle polémique sur le rôle des Polonais dans l’Holocauste a enrayé la tenue d’une réunion du groupe de Visegrad en Israël, qui devait sceller l’alliance de Benyamin Nétanyahou avec les populistes d’Europe de l’Est.

Benyamin Nétanyahou aurait pu y voir un signe. Jeudi soir, un remorqueur s’encastrait dans son avion, clouant à terre le Premier ministre israélien prêt à quitter Varsovie. Allégorie du grain de sable. Ce dernier venait alors de boucler dans la capitale polonaise un sommet sur le Moyen-Orient surnommé «la Saint-Valentin anti-iranienne», où s’était exhibé, sous égide américaine, l’axe arabe anti-Téhéran, marquant une nouvelle étape dans la normalisation israélienne avec les pays du Golfe.

Quarante-huit heures après ce fait d’armes diplomatique conclu en eau de boudin sur le tarmac, Nétanyahou a vu lundi son hôte polonais annuler sa participation au sommet du groupe de Visegrad, censé se dérouler dès lundi soir à Jérusalem. En cause, les remarques «racistes» (dixit Varsovie) d’Yisrael Katz, nouveau chef de la diplomatie israélienne, qui a littéralement accusé les Polonais d’être congénitalement antisémites. Un énorme couac devenu un camouflet cinglant pour Nétanyahou. Le dirigeant israélien avait fait du dépaysement de cette réunion du quartet est-européen (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie) dans «sa» capitale le point d’orgue d’une stratégie d’affaiblissement de l’Union européenne (UE), jugée trop critique envers Israël. Quitte à regarder ailleurs quand ces drôles d’alliés populistes frayent avec l’antisémitisme ou le négationnisme.

Désaccord profond

Car dans ce cas précis, le grain de sable n’est rien de moins qu’un désaccord profond sur la Shoah. A l’origine du malaise, une loi polonaise votée il y a un an. Les ultraconservateurs au pouvoir entendaient imposer une version manichéenne et nationaliste de la Seconde Guerre mondiale (qui a coûté la vie à 6 millions de Polonais, dont 3 millions de Juifs) et criminaliser toute parole publique contredisant le discours officiel selon lequel les Polonais ne furent que des victimes et jamais des bourreaux.

En Israël, de nombreuses voix avaient alors dénoncé une réécriture de l’Holocauste. Les historiens du Yad Vashem (mémorial de la Shoah à Jérusalem) avait rappelé que si des milliers de Polonais avaient bien tenté de sauver des Juifs durant cette période, plus encore avaient collaboré avec les nazis, voire participé à des pogroms. Y compris après la guerre, comme à Kielce, en 1946.

Suite à ces protestations appuyées par Washington et Bruxelles, la législation avait été amendée, supprimant notamment les peines de prison prévues pour les contrevenants. Mais en Israël, Nétanyahou, lui-même fils d’historien, avait été jugé trop conciliant avec le révisionnisme de Varsovie, tout à sa stratégie de rapprochement est-européenne, déjà illustrée par sa mansuétude envers la rhétorique flirtant avec l’antisémitisme du Hongrois Viktor Orbán, reçu en grande pompe à Jérusalem en juillet.

Gesticulations contrites

C’est pourtant Nétanyahou lui-même qui a ravivé la polémique. Interrogé jeudi en marge du sommet de Varsovie par des journalistes israéliens sur les limites de sa realpolitik mémorielle, le Premier ministre déclare que oui, «des Polonais ont collaboré avec les nazis». Ajoutant, sans doute pour défendre la législation polonaise : «Et je ne connais personne qui a été poursuivi pour une telle déclaration.» Aussitôt, le Président polonais Andrzej Duda menace d’annuler la tenue du sommet à Jérusalem, citant les gros titres de la presse israélienne impliquant «la nation polonaise».

La diplomatie israélienne éteint l’incendie en fustigeant les reporters qui auraient mal repris la citation de Nétanyahou, écrivant «les Polonais» (tous sans exception), et non «des Polonais». Passablement satisfait, Varsovie décide de n’envoyer que son ministre des Affaires étrangères. Jusqu’à ce que son homologue israélien, Yisrael Katz, nommé à peine douze heures plus tôt, choisisse de saboter les gesticulations contrites de son Premier ministre.

Lors d’un passage télé dimanche soir, Katz partage le fond de sa pensée en citant l’ancien Premier ministre Yitzhak Shamir pour qui «les Polonais boivent l’antisémitisme dans le lait de leur mère». C’en est trop pour Varsovie, qui renonce à sa participation et menace de rappeler son ambassadeur. Quelques heures plus tard, les trois autres membres du groupe de Visegrad annoncent l’annulation du sommet, tout en maintenant leur visite pour une «série de discussions bilatérales».

Couverture

Ce spectaculaire déraillement marque-t-il la fin de l’acrobatique alliance entre l’Israël de Nétanyahou et le groupe de Visegrad d’Orbán et cie? Les deux parties ont trop en commun : défense des frontières et de l’ethnonationalisme, penchant pour l’autoritarisme et agenda anti-migrants. Par ailleurs, chacun sert de couverture à l’autre : l’appui d’Israël permet aux leaders est-européens de détourner les accusations d’antisémitisme, pendant que ces derniers peuvent bloquer les condamnations de l’Union européenne sur la politique de l’Etat hébreu envers les Palestiniens, comme ce fut le cas lors de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne par Washington.

Mais à quel prix ? «C’est un dilemme, juge froidement Einat Wilf, ex-députée travailliste et conseillère diplomatique de Shimon Peres. Il me paraît tout à fait légitime qu’un Premier ministre israélien tente d’influencer la politique européenne en faveur de son pays par de telles alliances, notamment pour contrer le biais pro-palestinien du reste de l’Europe. Mais le problème, c’est que les Polonais en l’occurrence demandent trop, beaucoup trop.» Ou quand l’ambiguïté si chère à Nétanyahou atteint ses limites morales.

ParGuillaume Gendron, Correspondant à Tel-Aviv

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