Au quartier de l’Ariane à Nice, «le manque de tram éloigne de tout»

Published 09/03/2019 in https:2019/03/09/

Au quartier de l’Ariane à Nice, «le manque de tram éloigne de tout»
Nice le 9 mars 2019, manifestation pour l’extension de la ligne de tramway vers le quartier de l’Ariane.

Reportage

Christian Estrosi a abandonné l’idée de prolonger la ligne de tramway qui mène au centre-ville jusqu’à l’Ariane, un quartier prioritaire. Des habitants manifestaient ce samedi.

On devine leurs espoirs à travers le drap. Posé sur la plaque inaugurale, le nom de la station de tram et la couleur bleue du carré métallique apparaissent par transparence. Au moment de tirer sur le tissu, les espoirs s’envolent. L’inauguration de la «station l’Ariane» n’est que fictive. Les habitants de ce quartier prioritaire de l’est de la ville de Nice ne verront jamais arriver les rails jusqu’à eux. Le maire LR Christian Estrosi a abandonné l’idée de prolonger la ligne de tramway qui mène au centre-ville, lui préférant un bus.

«Cette inauguration n’est que symbolique», pointe Abdou au pied de la station fictive. Ce médiateur scolaire à la retraite participe à une manifestation pour que le tramway traverse son quartier : «Nous, on ne souhaite plus de symbole, on veut du réel, dit-il. On en a marre des promesses.» Les «promesses» dont parle cet habitant de l’Ariane, c’est celles qu’il a entendues lors d’une réunion en 2007. La municipalité évoquait alors une arrivée du tram jusqu’au pied des tours. Depuis, Christian Estrosi s’est concentré sur le développement des transports à l’autre bout de la ville et a laissé cette idée de côté. «On se sent lésés, explique Abdou. Le transport, c’est primordial. Ça permet l’égalité entre les territoires.»

C’est que l’Ariane est le quartier le plus excentré de la ville. Coincé entre une usine d’incinération et une vallée, avec les montagnes de part et d’autre, c’est ici que se sont installés les rapatriés d’Afrique du nord dans les années 70. De petits immeubles de sept étages et des tours qui, au fil du temps, ont accueilli les immigrés et les classes populaires.

Quartier enclavé

Aujourd’hui, plus de 10 000 personnes y habitent. Bien sûr, il y a eu une rénovation urbaine à hauteur de 160 millions d’euros, un classement en Zone de sécurité prioritaire et la création de services publics avec un collège, une piscine, une salle de spectacle. Mais les habitants se sentent toujours isolés. «C’est un quartier enclavé. Il y a une volonté de laisser l’Ariane loin du centre-ville et de marginaliser, estime Robert Injey, leader niçois du Parti communiste français qui a vécu dix ans à l’Ariane. Le manque de tram éloigne de tout : du lycée, de l’université, de l’accès au travail, de la culture.» Alors, la ligne de vie de l’Ariane, c’est la ligne 16. Un bus parcourant les quatre kilomètres entre le cœur du quartier et le terminus du tram. Les embouteillages le matin et sa faible fréquence le soir et le week-end allongent le temps de trajet d’une demi-heure. «On est embêtés dès qu’on a un rendez-vous ou si on a un emploi en ville. On doit toujours partir en avance, s’agace Omar, 49 ans. On paye des charges et des taxes comme tout le monde. On devrait avoir accès au même service public.»

«Ils veulent faire une scission»

La ville mise désormais sur une desserte en TER via une voie ferrée déjà existante et sur un bus en site propre. «La desserte de ce quartier par le tramway ne semble pas à ce jour être la meilleure solution», explique la commune dans une réponse écrite envoyée à Libération. Ainsi Christian Estrosi a annoncé, en juin dernier, «le lancement d’une étude pour la mise en place d’un bus à haut niveau de service jusqu’à l’Ariane en site propre [avec un] investissement limité par rapport à un projet tramway, environ quatre fois moins cher et beaucoup plus rapide à mettre en place».

Selon la ville, le prolongement de la ligne 1 au-delà de l’Ariane est estimé à 200 millions d’euros. Mais pour les habitants, un bus électrique n’est pas un tram. «On a besoin d’un transport qui prend du monde, pas d’un bus de cent personnes où il faut faire un changement», pointe Georges-Claude Trova, président du comité de quartier de l’Ariane. Abdou rembraye : «On nous oblige à faire une escale, analyse-t-il. Car ils veulent faire une scission. Pour eux, l’Ariane est une commune à part mais on est Niçois.» Pour refuser cette «ségrégation urbaine», un collectif de partis et d’associations (dont le PS, EELV, la LDH, le PCF, le NPA) a lancé une pétition qui a recueilli 6 000 signatures. Tous ont aussi concocté cette inauguration fictive, pas si imaginaire que ça : au début du XXe siècle, une ligne de tramway traversait le quartier. 

ParMathilde Frénois, Correspondante à Nice, photos Laurent Carré

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