«On ne peut pas dissocier l’économie circulaire d’un effort vers la sobriété»

Published 09/07/2019 in Uncategorized

«On ne peut pas dissocier l’économie circulaire d’un effort vers la sobriété»
Des ordures dans le centre de tri du Syctom, dans le XVIIe arrondissement de Paris, le 6 juin.

Le fil vert

Pour «Libération», Etienne Lorang, doctorant en économie de l’environnement, détaille les avantages et les limites des politiques de recyclage et de valorisation des déchets telles que promues par un projet de loi du gouvernement présenté début juin.

Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, quatre questions pour décrypter des enjeux environnementaux.

C’est l’un des textes sur lesquels le gouvernement espère montrer ses ambitions écologiques. Présenté devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE) début juin, avant d’être en toute logique approuvé mercredi par le Conseil des ministres, le projet de loi «pour une économie circulaire» prévoit notamment de renforcer la «responsabilité élargie du producteur» dès 2021, en particulier pour de nouvelles familles de produits comme les matériaux de construction, les articles de sport, le bricolage ou les cigarettes pour lesquels les producteurs devront financer la gestion des déchets. A cela s’ajoute également un bonus-malus pour les producteurs qui jouent ou non le jeu de la performance écologique, mais aussi le retour de la consigne et autres mesures censées favoriser le recyclage et la durabilité. Une démarche ambitieuse pour réduire notre volume de déchets ? Doctorant en économie de l’environnement, Etienne Lorang, de l’Inra et de la chaire Economie du climat de Paris-Dauphine, décrypte l’intérêt écologique de cette démarche mais aussi ses limites environnementales non négligeables en l’état.

L’économie circulaire est-elle une solution à la crise des déchets que nous traversons ?

Si cette crise correspond à la prise de conscience d’une accumulation croissante de déchets, mise en lumière notamment par les récents refus de pays d’Asie d’être la poubelle du monde, l’économie circulaire est indéniablement un atout. En effet, l’idée de sortir d’un mode de consommation linéaire, avec le recyclage en procédé central, nous offre théoriquement la possibilité de se débarrasser des contraintes liées à la gestion des déchets et à la raréfaction des ressources. Elle a le mérite de considérer de manière globale l’activité économique et de proposer des leviers d’action à différents niveaux : l’offre de produits, la consommation et la gestion des déchets. Avec donc des solutions complémentaires pour transformer notre modèle économique : dans le désordre et de manière non exhaustive, l’écoconception, l’écologie industrielle, l’économie de la fonctionnalité… On a donc un modèle pour la société de demain avec une création de valeur ainsi qu’une baisse de l’empreinte écologique.

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Le recyclage et la valorisation des déchets promus depuis les années 90 ont-ils prouvé leur efficacité environnementale ?

Si l’on parle des principes globaux de recycler et de valoriser les déchets, ils tiennent leur efficacité dans la limite de leurs possibilités. La valorisation permet de produire de l’énergie, mais au prix d’émissions de gaz à effet de serre et de la perte des matériaux. Le recyclage permet de profiter de la valeur économique des déchets, mais se heurte à la réalité technologique : des coûts importants et une substituabilité imparfaite avec les matériaux d’origine vierge. On peut par exemple penser à la problématique du recyclage de matériaux vers d’autres filières : les pneus pour les courts de tennis, les bouteilles plastiques en tissus polaire, etc. Dans le même ordre, il n’est pas possible de recycler indéfiniment la pâte à papier : au bout d’un certain nombre de cycles, celle-ci perd en qualité et ne pourra plus être utilisée. On voit, dans ce cas, qu’on s’éloigne de l’idée d’une économie circulaire avec des flux de matériaux totalement bouclés. Si on ajoute à ça une logique de croissance de la consommation [voir Dominique Bourg et l’écologie intégrale, ndlr] et les usages dispersifs des matériaux [voir Philippe Bihouix], on s’éloigne encore plus de cet idéal. Certains vous diront même qu’une société totalement circulaire transgresserait le second principe de la thermodynamique.

Et en matière sociale ?

L’aspect social s’éloigne de mon sujet de travail, mais les problématiques liées à l’export de déchets à l’autre bout du monde et le manque, voire l’absence, de visibilité quant à leur traitement (recyclage ou autre) laisse penser que l’efficacité n’est pas atteinte. On peut également évoquer le Cash Investigation de septembre 2018 qui mettait en avant, dans un de ses reportages, les conditions de travail du recyclage en Afrique. Au-delà de la théorie sur l’efficacité du recyclage et de la valorisation, il y a aussi la réalité du secteur en France, avec des taux qui sont loin de ceux qu’on pourrait espérer pour une «économie circulaire» (pour les plastiques notamment).

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Ont-ils aussi des conséquences nocives pour l’environnement ?

Il est déjà important de considérer les émissions de gaz à effet de serre imputables au recyclage. Si les facteurs d’émission sont souvent à l’avantage de la filière recyclage, il reste que l’activité n’a pas un impact neutre. Il faut considérer des processus complexes et énergivores. Certains déchets ont également des composants dangereux qui ne peuvent pas être réincorporés dans de nouveaux produits (notamment parce que la législation a évolué). Dans ce cas, le recyclage peut être impossible, l’enfouissement à l’origine de dommages environnementaux et/ou sanitaires, l’incinération transformant ces dommages à court terme en des dommages climatiques à plus long terme. L’équation est donc difficile à résoudre.

Qu’est-il possible de faire dans ce cas ?

L’économie circulaire pose un cadre et des principes très positifs pour une transition écologique, mais on ne peut la dissocier d’une maîtrise de notre consommation, donc un effort vers la sobriété, via une remise en question de nos modes de vie.

ParFlorian Bardou

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