En France, les poissons ne courent plus les cours d’eau

Published 18/07/2019 in https:2019/07/18/

En France, les poissons ne courent plus les cours d’eau
En France, les poissons ne courent plus les cours d’eau

Le fil vert

Plus d’une espèce de poissons d’eau douce sur cinq est menacée de disparition selon les naturalistes. Un mauvais état de conservation qui s’est aggravé ces dix dernières années.

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Nos rivières sont de moins en moins poissonneuses et la situation dans nos cours d’eau s’est même «aggravée» ces dix dernières années. Tel est le constat des naturalistes chargés de réévaluer pour la branche française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en collaboration avec le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et l’Agence française pour la biodiversité (AFB), l’état général des populations de loches, brochets, chabots et autres aloses dans l’Hexagone. Rendue publique il y a tout juste une semaine, la nouvelle mouture de la liste rouge des espèces de poissons d’eau douce menacées en France indique en effet qu’une espèce de poissons d’eau douce sur cinq est aujourd’hui menacée de disparition, soit 15 espèces sur les 80 natives (et non introduites par l’homme) dans nos cours d’eau.

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Au total, 39% des espèces sont même «menacées» ou «quasi menacées de disparition» contre 30% il y a dix ans lors de la première évaluation de l’état des populations des poissons d’eau douce par l’UICN dans l’Hexagone. Un déclin d’autant plus fort que de nouvelles espèces ont été décrites entre-temps, comme le brochet aquitain et la loche léopard, bien souvent endémiques et avec «de toutes petites aires de distribution». «C’est assez inquiétant, notamment pour les poissons dits amphihalins [qui migrent de l’eau salée à l’eau douce selon leur cycle de vie, ndlr] dont les stocks étaient assez abondants auparavant mais qui dégringolent en raison de l’absence de continuité écologique, soutient Gaël Denys, biologiste au Muséum, et membre de la Société française d’ichtyologie (SFI). La grande alose est par exemple désormais en danger critique d’extinction alors qu’elle était “vulnérable” il y a dix ans. Le saumon atlantique est lui quasi menacé : certes ses populations bretonnes vont mieux, mais par rapport à la distribution historique de l’espèce, on peut dire que son état de conservation reste mauvais.» Et ce, en dépit des programmes de restauration entrepris ces dernières années dans divers bassins français comme celui de la Seine.

Assèchement des zones humides

Pour expliquer le déclin général des poissons d’eau douce, fort semblable à celui des oiseaux nicheurs et des champs, des mammifères (les chauves-souris notamment) ou des éphémères, les scientifiques pointent du doigt les multiples menaces auxquelles doivent faire face ces animaux. La dégradation et la destruction de leur habitat naturel d’abord, que ce soit par l’assèchement des zones humides ou la construction de digues sur les cours d’eau. Mais aussi la pollution chimique des eaux à laquelle sont sensibles les poissons, le changement climatique (par l’augmentation des températures de l’eau et la diminution du débit), la construction de barrages, la pêche et le braconnage des alevins. «Même si on a fait des efforts ces dernières années, il y a toujours des pollutions liées à l’agriculture intensive et d’autres types de rejets dans les rivières, précise l’ichtyologue Gaël Denys. Et tant qu’on ne met pas le paquet pour préserver la continuité des milieux naturels, ça n’ira pas mieux.»

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Sur la côte atlantique, l’anguille européenne est d’ailleurs emblématique de ces pressions exercées sans discrimination sur les poissons d’eau douce. Autrefois très abondante, cette espèce migratrice, toujours «en danger critique d’extinction», a connu un effondrement spectaculaire de l’ordre de 70% à 90% de ses effectifs depuis les années 80. Cette régression est liée à la mauvaise qualité de l’eau où elle nage – l’animal serpentiforme étant très sensible aux polluants (PCB, pesticides, etc.) qui fragilisent ses défenses immunitaires – mais aussi à la fragmentation de son habitat naturel (barrages, turbines, etc.) affectant son périple migratoire vers les sargasses. Sans oublier la surpêche et le braconnage de ses alevins revendus à prix d’or sur le marché asiatique, malgré l’interdiction du commerce des civelles par la convention de Washington (Cites). «Il doit y avoir une prise de conscience de tous les acteurs, dont les pêcheurs, que dans nos rivières il n’y a pas que la truite et le brochet mais des espèces utiles, souvent endémiques, qui ont une place dans la chaîne alimentaire, qu’il ne faut pas pêcher, et qui peuvent disparaître si on ne fait rien, conclut le biologiste. Notre politique de gestion des cours d’eau est aussi à réformer pour qu’elle soit par bassin versant et non plus nationale, mais ça, c’est au ministère d’en décider.» 

ParFlorian Bardou

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