CAN : à Paris, des supporteurs algériens «dans la cinquième dimension»

Published 20/07/2019 in Sports

CAN : à Paris, des supporteurs algériens «dans la cinquième dimension»
Des supporteurs algériens dans le quartier de la Goutte d’or à Paris à la fin du match, vendredi soir.

Reportage

L’Algérie a remporté vendredi soir la Coupe d’Afrique des nations en battant le Sénégal. Pour les Algériens qui ont suivi le match dans un café parisien, cette victoire représente «plus que du foot».

L’ambiance d’un mariage. La chaleur d’un hammam. Dans l’arrière-salle du Café de Paris, à Ménilmontant, des grappes de supporteurs algériens se pressent pour une place devant l’écran géant, installé pour la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). «C’est fou comme les émotions nous rendent ivres avant l’heure.» Halim, 32 ans, n’a regardé que les deux derniers matchs des Verts. Lui qui a quitté Bab Ezzouar, dans la banlieue est d’Alger, à l’âge de 19 ans, se livre : «J’ai du mal avec tout ce qui touche l’Algérie. Ça me blesse beaucoup trop. Trop de souffrances. Ça me brûle…»

La Casa Del Mouradia, chant de supporteurs algérois, importé des tribunes aux rues en pleine contestation du pouvoir, transcende la salle une première fois. Nous sommes à dix minutes du coup d’envoi. Sur les tables, des frites beaucoup trop saucées se mêlent à des bouts de kebabs beaucoup trop chargés. Tout le monde se lève pour chanter l’hymne algérien la main sur le cœur, dans une ambiance désormais tamisée.

«C’est qui l’abruti qui a jeté sa bière au plafond ?» gronde un serveur depuis l’estrade. Les Fennecs viennent d’ouvrir le score. Folie furieuse. «Il y a des câbles électriques, sermonne-t-il. Faudra pas se plaindre si après, le vidéoprojecteur ne marche pas.»

«Raïs président !»

Durant tout le match, Halim, d’ordinaire bavard, se tait. Assis tout près, Sadek, 63 ans, lance des «Walou, walou !» tantôt à l’arbitre, tantôt aux adversaires. «Il est persuadé qu’en disant “Walou”, il ne va rien se passer !» rit sa fille Narimane, 29 ans. La dernière fois que l’Algérie a gagné la CAN, c’était en 1990. Beaucoup comme Narimane étaient à peine nés.

A la pause, tout le monde se rue vers une bouffée d’air frais et quelques taffes de cigarettes. La tension retombe. Pour peu de temps : penalty pour le Sénégal. Amine s’emporte. Le fils de Sadek, 24 ans, saute sur la banquette rouge. «La main est là ! hurle-t-il, face au ralenti. C’est les règles du foot : il n’y a pas penalty. Elle est collée, elle est collée !»

L’arbitrage vidéo lui donne raison : le penalty est annulé. Dans le Café de Paris, tout le monde exulte comme si l’Algérie venait de marquer une seconde fois. «On va tenir», hurle une voix d’homme qui vrille dans les aiguës. Chaque intervention du gardien algérien est célébrée comme un but : «Raïs président !»

Lors de la dernière victoire des Verts, Bouteflika, lui, n’était pas encore président. Vingt-neuf ans plus tard, en ce soir de finale, il ne l’est plus. Poussé à se retirer par un peuple en quête d’avancées démocratiques. «Ce qui se passe là, commente Halim, c’est plus que du foot !»

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L’arbitre siffle la fin de la rencontre sous les «hourras» et les «youyous». Sur le trottoir de la rue Oberkampf, Narimane essuie ses larmes dans les bras de son père Sadek. D’autres dansent, drapeaux en l’air. Amine, lui, bascule «dans la cinquième dimension». «Pendant longtemps, j’ai cru qu’il n’y avait plus de peuple en Algérie, sourit Halim. Mais ce soir, c’est bien la victoire d’un peuple !»

ParSheerazad Chekaik-Chaila, photos Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération

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