Environnement : «Les gens changent lorsqu’ils ont une alternative satisfaisante»

Barbara Bonnefoy est enseignante chercheure en psychologie au laboratoire parisien de psychologie sociale de l’Université Paris Nanterre. Elle travaille sur le rapport de l’individu à la dégradation de l’environnement et revient pour «Libé» sur la psychose qui peut en découler.
Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, c’est la règle de trois : trois questions à un acteur de la transition écologique pour décrypter les enjeux environnementaux.
Barbara Bonnefoy, enseignante chercheure en psychologie au laboratoire parisien de psychologie sociale de l’université Paris-Nanterre, revient pour Libération sur les réactions que suscite la dégradation de l’environnement chez nos concitoyens, notamment les plus jeunes.
On parle de plus en plus souvent d’un «effondrement» à venir, cette idée crée-t-elle une angoisse particulière ?
Cette crainte évoque l’angoisse diffuse que notre monde va s’arrêter. Ce qui suscite l’angoisse c’est l’idée qu’il s’effondrera, comme une catastrophe annoncée et non comme une fin paisible. Cependant je n’ai pas senti que cette crainte était très présente spontanément, notamment chez les jeunes. Ou alors ils en parlent avec humour : «Profitons-en parce que dans vingt ans tout s’effondre.» Les jeunes n’adhèrent pas toujours avec un modèle de société qui ne tiendra pas, ni avec un mode de vie qui montre ses limites. L’effondrement du monde industriel c’est à la fois une angoisse et parfois un souhait.
Ce qui angoisse, c’est de ne pas savoir quoi faire justement pour contrer l’angoisse : changer de mode de vie, oui mais comment ? Le réchauffement climatique est un bon exemple. C’est une idée très complexe, difficile à appréhender par les citoyens dans leur vie quotidienne. Personne ne souhaite que cela arrive, pour autant, le changement est compliqué et les volontés politiques sont assez faibles. Les jeunes sont conscients de ce décalage, ils sont à la fois terriblement déçus de l’inaction des responsables politiques, mais aussi pris dans des modes de vie durs à modifier. Dans ce contexte, l’idée d’effondrement est assez facile à diffuser. Mais je ne la vois pas s’installer durablement chez les jeunes – chez les étudiants notamment, que je connais mieux. C’est un peu comme un nuage d’angoisse diffuse qui s’infiltre dans l’espace médiatique, mais ce n’est pas une panique. En revanche, elle peut pousser soit à la passivité ou à l’individualisme soit à davantage de coopération et d’actions.
Justement, comment réagit-on à ces mauvaises nouvelles diffusées dans les médias ?
Certains posent un regard très optimiste sur l’avenir et misent sur de nouveaux imaginaires se tournent vers l’action, s’engagent. D’autres tentent d’apprendre à survivre dans la forêt pour ceux qui adhèrent à 100% aux discours sur l’effondrement. Il y a beaucoup d’idéologie derrière nos réactions.
Souvent, les gens ont tendance à être optimistes pour l’état de leur environnement immédiat et pessimistes pour l’avenir, à se dire : «c’est pire ailleurs et ce sera pire plus tard», comme l’explique le psychologue Robert Gifford. Alors à quoi bon agir puisque je n’ai pas de prise sur le lointain ? La notion d’ultimatum dépend de l’échelle, soit il est pour demain et cela génère une panique, soit c’est loin et chacun se projettera d’une manière très différente, chacun restant soumis à sa façon de penser, d’agir, de consommer, de voter.
Comment les gens changent-ils néanmoins de point de vue et de comportement en prenant conscience des enjeux écologiques ?
Changer d’avis, de point de vue, d’habitude, de mode de vie est loin d’être évident : il faut avoir envie de le faire ou y être contraint. Par exemple dans le domaine du tabac, l’interdiction de fumer dans les lieux publics a changé de nombreux comportements, y compris dans la sphère privée. Concernant les sacs plastiques c’est un peu la même chose : il est encore possible de s’en procurer mais s’ils sont totalement interdits, chacun trouvera d’autres solutions, ça paraît simple. Ce qui l’est moins c’est de changer notre manière de consommer et de se déplacer. On est plus à même d’adhérer à des politiques publiques qui vont inciter à trier ses déchets, économiser l’eau, l’électricité, lorsqu’on prend conscience de la dégradation de notre environnement et que l’on se sent dans une certaine mesure responsable de cette dégradation. La prise de conscience et le sentiment de responsabilité sont importants, mais d’autres facteurs jouent aussi comme notre sentiment d’appartenir à l’écosystème, de se sentir connecté à la nature.
Plus concrètement, les gens changent lorsqu’ils ont ou qu’on leur propose une alternative satisfaisante, lorsqu’ils gagnent quelque chose. Les modes de vie respectueux de l’environnement sont souvent présentés comme archaïques, austères, voire coûteux or ils peuvent très largement contribuer au bien-être, à une meilleure santé, un meilleur environnement, et à des économies de ressources. Enfin, ce qui amène aussi le changement, ce sont les autres, la norme sociale, l’imitation. C’est une dynamique entre ce que font les autres et ce que j’ai envie de faire.
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