«En Europe, la France fait partie des pays les plus menacés par la submersion marine»

Un rapport publié par le think tank La Fabrique écologique le 15 juillet fait le point sur les effets du dérèglement climatique sur le littoral français et lance des pistes pour s’y adapter.
Tous les jours, retrouvez le fil vert, le rendez-vous environnement de Libération. Aujourd’hui, quatre questions pour décrypter des enjeux environnementaux.
Le littoral français bientôt sous l’eau ? Selon le ministère de la Transition écologique, 1,4 million de résidents, 850 000 emplois, 165 000 bâtiments et 864 communes sont menacés aujourd’hui par la submersion marine, tandis qu’un quart des côtes métropolitaines est affecté par l’érosion. Sous l’effet, notamment, de l’élévation du niveau de la mer, ces chiffres devraient encore gonfler dans les décennies à venir, explique un rapport de la Fabrique écologique. L’augmentation de la température, l’acidification et la désoxygénation des océans altèrent quant à elles les habitats de certaines espèces marines. L’auteure de cette étude, Jill Madelenat, revient sur ces risques et les difficultés d’adaptation dans les territoires concernés.
Comment le changement climatique impacte-t-il les littoraux français ?
On observe, au niveau global, une augmentation d’environ 1°C de la température de surface moyenne des océans. Les données au niveau local sont incomplètes, mais selon le groupement régional d’experts sur le climat Acclimaterra en 2018, la température de surface devrait augmenter de 2,2°C à 3,5°C d’ici 2100 en Nouvelle-Aquitaine. L’élévation du niveau de la mer s’accélère : elle est désormais de 3,2 millimètres par an en moyenne (pour la période 1994-2014), alors que pendant les trois derniers millénaires, le rythme d’élévation se situait autour de 0,5 millimètre par an. Ces phénomènes s’accompagnent d’une acidification et d’une désoxygénation des océans, causée à la fois par le changement climatique et la surcharge de nutriments provenant d’engrais agricoles, faisant proliférer les algues.
A lire aussiTout comprendre (en BD) au scandale des algues vertes
On sait que dans les années à venir, le changement climatique va renforcer le risque de submersion, mais il est encore un peu tôt pour affirmer qu’un événement isolé comme la tempête Xynthia est dû à la modification du climat. Il faudrait en observer plusieurs sur une courte période pour en être certain. Pour l’instant, les risques de submersion sont surtout liés à des épisodes exceptionnels, plutôt qu’à l’élévation générale du niveau de la mer. Concernant l’érosion, l’impact du changement climatique est encore moins évident. Jusqu’à aujourd’hui, c’est la raréfaction des sédiments qui en est le premier facteur explicatif (l’érosion naturelle des plages est normalement compensée par l’apport de sédiments charriés par les cours d’eau, or les barrages limitent leur arrivée sur les littoraux).
En Europe, la France fait partie des pays les plus menacés par la submersion marine avec la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. La diversité des situations (risque d’érosion et de submersion, présence de côtes sableuses et de côtes rocheuses, d’un océan et d’une mer fermée…) fait sa spécificité.
A lire aussiElévation du niveau des mers : «Le scénario du pire»
A quoi peut-on s’attendre en 2050 ?
En Europe, 10 000 personnes sont concernées chaque année par la submersion marine. En 2050, ce chiffre devrait monter à 55 000. Les départements les plus exposés à ce risque sont la Charente-Maritime, la Vendée et le Nord.
Concernant l’élévation du niveau de la mer – due à la dilatation de l’océan causée par l’augmentation de sa température moyenne, mais aussi à la fonte des glaciers continentaux et des calottes du Groenland et de l’Antarctique –, le Giec l’estimait en 2014 à moins d’un mètre à l’horizon 2100, mais depuis le début de l’année, toute une série de publications scientifiques ont montré que le phénomène s’accentuait beaucoup plus vite que prévu. En mai, l’Académie nationale des sciences aux Etats-Unis (PNAS) a réactualisé ces chiffres et agrandi la fourchette (entre 62 et 238 centimètres d’ici la fin du siècle). C’est l’un des messages clés de ce rapport : les politiques publiques en France se basent sur le scénario médian du Giec (+60 centimètres d’ici 2100), ainsi l’enjeu de l’élévation du niveau de la mer est largement sous-évalué.
Quelles sont les principales pistes d’adaptation mises en place sur le littoral à l’heure actuelle ?
Les ouvrages de protection – comme les digues – constituent l’une des mesures principales, mais il existe aujourd’hui un consensus assez large, porté par les scientifiques et certains politiques, sur le fait qu’ils ne constituent pas une solution pérenne. En effet, s’ils limitent l’érosion localement, ils l’accentuent sur les plages voisines. Certaines régions ont fait le choix de ne plus participer à leur financement. Même l’Etat a affirmé en 2012 que le trait de côte était mobile et n’avait pas vocation à être fixé. Sans compter que ces aménagements ont un coût élevé. Mais dans certains cas, comme à Lacanau, ils sont indispensables, le temps de trouver des alternatives et de sensibiliser les habitants.
Toutes les personnes menacées par la submersion ne doivent pas déménager : la plupart du temps, on peut très bien s’y adapter en améliorant les systèmes d’alerte et d’évacuation (temporaire) des personnes concernées. On peut aussi ajouter une zone de refuge à l’étage (lors de la tempête Xynthia, sur 41 personnes décédées, 32 vivaient dans des maisons de plain-pied), et éviter de construire, comme on l’a souvent fait, trop près des côtes. En revanche, l’érosion rend parfois la relocalisation inévitable : au bout d’un moment, si la plage recule, le bâtiment tombe à l’eau… Selon le Cerema, entre 5 000 et 50 000 logements seront menacés par l’érosion d’ici 2100. Cela coûte très cher d’indemniser les propriétaires concernés.
Le problème est l’asymétrie dans le traitement de ces deux risques – submersion et érosion –, que l’Etat justifie par le caractère soudain de l’un et prévisible de l’autre. Les victimes de l’érosion contestent cette lecture pour une raison principale : dès qu’il y a la moindre tempête, cela va beaucoup plus vite que prévu. L’Observatoire de la Côte Aquitaine avait fait des prévisions sur le recul du trait de côte en 2030. En 2013, il y a eu les grandes tempêtes, et cette position avait déjà été atteinte.
Existe-t-il des solutions plus naturelles ?
Oui, c’est ce que l’on appelle la «gestion souple du trait de côte». Au lieu de construire des ouvrages de protection, on va tenter de préserver des écosystèmes qui limitent naturellement l’érosion. Par exemple, les herbiers (de posidonie pour la Méditerranée et de zostère pour l’Atlantique) ralentissent le courant et freinent ainsi l’érosion. Le problème est qu’ils sont victimes de certaines menaces, comme le mouillage de bateaux de plaisance qui abîment les fonds marins. On peut aussi végétaliser les dunes pour les maintenir, au lieu de construire des digues, ou tout simplement accepter le recul du trait de côte en faisant de la dépoldérisation (qui consiste à abandonner une partie d’un polder, une étendue artificielle de terre gagnée sur l’eau). Mais il y a peu de financements dédiés, et ces actions sont souvent perçues comme une défaite.
Leave a Reply