Chine : des productions dictator’s cut

Published 06/08/2019 in Cinéma

Chine : des productions dictator’s cut
«The Eight Hundred» a été exclu du festival de Shanghai.

Critique

Depuis que la régulation des films dans le pays a été attribuée au Bureau de la propagande du Parti communiste, la censure bat son plein.

Si la chaleur est étouffante en Chine, ce n’est pas une vague de canicule qui s’abat sur son cinéma, mais bien une répression, fût-elle soft, depuis un an, et qui s’est accrue ces dernières semaines. En l’espace d’un été, quatre films chinois ont été ciblés par la censure. Parmi les victimes, deux œuvres sont produites par les studios Huayi Brothers, pionniers du marché national. La comédie The Great Wish avait déjà fait l’actualité le mois dernier, forcée d’être rebaptisée The Last Wish. Motif ? Le terme «grand» est réservé aux seuls leaders du pays et aux thèmes importants émanant de l’Etat, d’après Variety. «Ce qui est troublant, c’est que certains sujets ne semblaient pas sensibles politiquement, mais le deviennent», explique un producteur sino-américain. Mais le film «paie également son scénario», glisse une autre professionnelle du milieu, soulignant la mécanique scabreuse de son pitch : un adolescent atteint d’une maladie en phase terminale souhaite à tout prix perdre sa virginité.

Le deuxième film produit par Huayi à avoir été censuré est le blockbuster The Eight Hundred, également retiré de la programmation du festival international de Shanghai fin juin. Doté d’un budget de 71 millions d’euros, le film évoque le combat d’une poignée de soldats chinois face à l’envahisseur nippon lors de la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945). Problème, ces soldats sont issus des forces nationalistes. Si ces derniers avaient formé une alliance de circonstance avec les communistes, les deux mouvements se sont ensuite affrontés au cours d’une guerre civile qui se terminera en 1949, quand les nationalistes défaits trouvent refuge à Taiwan. Les communistes, de leur côté, instauraient la République populaire de Chine, dont Pékin s’apprête à fêter avec faste les 70 ans, le 1er octobre. Impensable, donc, pour le pouvoir de célébrer l’ennemi nationaliste à quelques semaines de cette date anniversaire.

Face nord

Dans la foulée, les studios ont tenté de faire amende honorable : «Huayi Brothers a toujours estimé que des valeurs morales correctes étaient la pierre angulaire d’un développement sain d’une entreprise», a déclaré le PDG, Wang Zhongjun, alors que les studios annonçaient la création d’un comité du Parti communiste chinois au sein de l’entreprise.

Les films à l’affiche cet automne sont ainsi bien plus conciliants avec l’image du pays, comme en atteste The Chinese Pilot, qui devrait sortir sur les écrans le 30 septembre. Le film s’inspire de «l’atterrissage le plus miraculeux de l’aviation contemporaine chinoise», celui d’un Airbus A319 au cockpit explosé en mai 2018. Il partagera l’affiche avec The Climbers, qui relate l’exploit de quatre alpinistes chinois ayant gravi la face nord de l’Everest en 1960.

Depuis mars 2018, c’est le Bureau de la propagande du Parti communiste chinois qui est chargé de réguler la circulation des films, à la place du département de la radio, de la télévision et du cinéma, démantelé depuis. «Beaucoup d’acteurs du marché ont été surpris et n’étaient pas préparés à s’ajuster face à l’intensité et la magnitude de ces nouvelles régulations», lance le producteur sino-américain, qui a préféré rester anonyme comme toutes les personnes du secteur interrogées sur ce sujet.

Recul

L’été dernier a aussi été marqué par le scandale impliquant Fan Bingbing, l’actrice la plus renommée et rémunérée de Chine, accusée d’évasion fiscale. Pékin a décidé d’augmenter la taxe sur le salaire des acteurs, passée de 10 % à 40 %. Résultat, les films coûtent plus chers et les prises de risques sont moindres. Le marché du cinéma a ainsi enregistré son premier recul depuis 2011. Sur le premier semestre 2019, il s’est contracté de 2,8 %, dans un contexte morose. Empêtrée dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis, la Chine a connu une croissance de 6,2 % au deuxième trimestre, la plus faible depuis vingt-sept ans. «Désormais, personne ne sait ce qu’il peut ou ne peut pas faire», affirme le producteur pékinois.

ParZhifan Liu correspondant à Pékin

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