Injures homophobes ou racistes en tribune : des mois de tensions jusqu’aux interruptions

L’interruption du match Nice-Marseille par l’arbitre mercredi soir intervient dans un contexte de conflit entre ultras et autorités. Retour sur les épisodes précédents.
Dernière affiche de la 3e journée de Ligue 1, mercredi soir, Nice-Marseille promettait d’être explosif. Un classique de la Côte d’Azur qui a (malheureusement) tenu toutes ses promesses. La rencontre a été interrompue douze minutes, après des chants homophobes et le déploiement de deux banderoles provocatrices des supporteurs niçois visant la Ligue de football professionnel. Un épisode de plus dans la confrontation entre les ultras et la Ligue professionnelle de football, où les politiques s’en mêlent. Retour sur six mois de tensions grandissantes.
Acte I : incidents au printemps
Le feuilleton débute à l’issue d’un Dijon-Amiens, match de Ligue 2 du 12 avril. Fait malheureusement trop commun dans les stades : le défenseur et capitaine d’Amiens, Prince Gouano, est la cible de cris de singe de la part des supporteurs dijonnais. La rencontre s’interrompt pendant cinq minutes avant de reprendre après l’arrêt des provocations racistes.
La présidente de la Ligue, Nathalie Boy de la Tour, salue alors la réaction du joueur d’Amiens et rappelé que malheureusement le règlement de la LFP ne permettait pas de sanctionner individuellement un supporteur. Quelques semaines plus tôt, la LFP avait réaffirmé son engagement pour la lutte antidiscrimination via une nouvelle convention avec la Licra qui visait à signaler des actes racistes, homophobes, antisémites ou sexistes dans les stades.
Quelques jours plus tard, la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, préconise l’interruption des matchs lorsque des incidents homophobes surviennent dans les stades, une procédure prévue par l’article 549 du règlement de la LFP.
Invité sur Franceinfo le 7 juillet, Emmanuel Macron rejoint la position de sa ministre en appelant à «arrêter les matchs systématiquement».
Acte II : interruptions de début de saison
Action, réaction. Le 16 août, à l’occasion, de la 4e journée de Ligue 2, le match Le Mans-Nancy est interrompu alors que des supporteurs ont entonné : «Nous haïssons les Messins, ces PD, ces bons à rien» suivi de «La Ligue, la Ligue on t’encule», après que le speaker a demandé d’arrêter le premier chant. Une semaine plus tard, deux rencontres de Ligue 1 (Brest-Reims/Monaco-Reims) sont brièvement interrompues pour le même chant visant la LFP.
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Réagissant à la polémique, Marlène Schiappa déclare au micro de Franceinfo qu’elle quitterait le stade si jamais elle entendait des chants homophobes.
Présente lors de Nice-Marseille diffusé ce mercredi soir sur Canal+ à 21 heures, la secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes a félicité l’arbitre de la rencontre Clément Turpin d’avoir arrêté la rencontre après l’apparition de deux banderoles provocatrices des supporteurs niçois : «Bienvenue au groupe Ineos [le nouvel actionnaire, également propriétaire d’une équipe de cyclisme pro, ndlr] : à Nice aussi on aime la pédale» puis «LFP, instances : des parcages pleins pour des stades plus gays». Des provocations qui s’inscrivent dans un contexte tendu entre supporteurs et autorités, alors que les arrêtés d’interdictions de déplacement de supporteurs sont de plus en plus fréquents, une disposition légale introduite par la loi Loppsi 2 de 2011.
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Quelques heures plus tôt, la LFP a sanctionné l’AS Nancy Lorraine de la fermeture de la tribune Piantoni pour un match. La commission de discipline a en effet considéré que l’insulte «PD» avait un caractère discriminatoire. A l’inverse, la même commission de discipline considère les termes «enculé» et «on t’encule» relevaient de la catégorie d’injures, et n’ont fait l’objet que d’un rappel à l’ordre.
Acte III : réactions en chaîne
Sujet désormais d’ampleur sportive et politique, la décision de Clément Turpin mercredi a été abondamment commentée. A chaud, le joueur niçois Wylan Cyprien a exprimé son regret de voir le match s’arrêter : «Je suis contre toutes les discriminations, que ce soit contre les gays, ou autres discriminations racistes. Mais on ne va pas arrêter tous les matchs à chaque fois qu’il y a des insultes.» A l’inverse, son coach, Patrick Vieira, a soutenu l’arbitre : «Je pense qu’il a eu totalement raison d’interrompre le match. Ce sont des choses inacceptables, le message a été clair, et l’arbitre n’avait pas le choix.»
Même son de cloche chez son ancien coéquipier et désormais sélectionneur de l’équipe de France, Didier Deschamps, qui a reconnu la complexité du sujet ce jeudi : «Quelle que soit la forme de contestation qu’il peut y avoir et de discrimination dans un stade, il n’y a pas de place pour ça, […] il faut être intransigeant par rapport à ce type d’événements mais […] c’est un problème difficile à régler, ça demande une réflexion très approfondie.»
A nouveau interrogée sur le sujet, la ministre des Sports s’est réjouie de la décision d’interrompre le match pendant douze minutes, tout en rappelant la responsabilité de la LFP et de la FFF, sur France Bleu Loire Océan : «Ce n’est pas à moi de trouver des solutions. C’est à la Fédération française de football et à la Ligue de football professionnel de prendre leurs responsabilités, de venir discuter avec nous et avec les supporteurs.»
Côté supporteurs, réagissant à la multiplication des mesures contre le mouvement ultra, Pierre Barthélémy, avocat de l’Association nationale des supporteurs, avait dénoncé l’incompétence et le mépris des autorités préfectorales dans le Journal du dimanche du 23 août. Pour le sociologue Nicolas Hourcade, spécialiste du monde des ultras, les politiques «ne comprennent pas le contexte dans lequel ils agissent, leurs actions risquent d’être contre-productives et de desservir cette cause, et en ricochet aussi le monde du football et les supporteurs, déplore-t-il dans un entretien au Monde. Il serait plus efficace de définir une ligne jaune de l’intolérable et de préserver un espace de liberté acceptable. C’est toute l’ambiguïté de la politique de la ministre Maracineanu : on ne sait pas si elle vise l’ensemble des injures ou seulement celles qui sont discriminatoires.»
Ce jeudi, la présidente de la LFP, Nathalie Boy de la Tour, a annoncé qu’elle réunirait «à la Ligue des associations de lutte contre l’homophobie, l’association nationale des supporteurs et quelques autres associations de supporteurs de façon à ce que nous puissions débattre tous ensemble». Rendez-vous fixé le 5 septembre.
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