A Venise, des sections parallèles très calibrées

Published 08/09/2019 in Cinéma

A Venise, des sections parallèles très calibrées
Pour «Zumiriki», l’Espagnol Oskar Alegria s’est construit une cabane dans un coin isolé du Pays basque.

Critique

Malgré quelques vraies réussites d’audace stylistique, les autres sélections ont présenté des films révélateurs de cet académisme typique des festivals internationaux.

Même si nous sommes loin d’y avoir tout vu, papillonner dans les autres sélections proposées à la Mostra (Orizzonti, Giornate degli Autori, Settimana internazionale della Critica) a parfois quelque chose de décourageant. Non pas parce qu’on y verrait des films particulièrement mauvais, mais parce qu’on y jauge surtout les tendances, les mimétismes, les tics stylistiques ou narratifs qui constituent ce que doit être un bon film d’auteur présentable et vendable dans un grand festival international. Les nouvelles formes d’académisme, en quelque sorte.

Ame errante

Les deux films ayant remporté le grand prix des sélections Orizzonti et Giornate degli Autori – Atlantis de l’Ukrainien Valentyn Vasyanovych et la Llorona du Guatémaltèque Jayro Bustamante – en proposent une belle synthèse. Atlantis se situe dans un futur proche, dans une Ukraine en guerre et réduite à l’état de paysage industriel quasi dépeuplé, image même du désastre économique, historique et écologique que l’époque nous promet. De longs plans généraux et fixes sont essentiellement traversés par des ouvriers dépressifs, des soldats hagards et d’immenses machines. Ce qui y apparaît est parfois impressionnant, mais on comprend vite que nous sommes face à un film s’appuyant sur un seul dispositif, affiché et répété fièrement en écrasant le peu de vie qui se déploie dans ses cadres imposants et systématiques.

La Llorona appartient à un autre genre, celui du film soigné jusqu’à en devenir lisse. C’est une histoire de fantôme inspirée par une figure du folklore d’Amérique latine : la llorona, l’âme errante d’une femme ayant perdu ses enfants et les cherchant la nuit près des cours d’eau. Ici, elle hante la maison d’un général responsable de massacres de communautés amérindiennes perpétrés lors de la guerre civile au Guatemala. La photographie jaunâtre, les mouvements de caméra décoratifs, la musique calibrée contribuent à lustrer l’ensemble là où il faudrait créer de l’inédit, de l’inquiétant. Tandis que tout ce qui peut relever du fantastique ou de l’onirisme se dilue dans une allégorie sursignifiante.

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Entre le dispositif mastodontesque et le lisse allégorique, deux tendances récurrentes, quelques films sont heureusement parvenus à surprendre. D’abord Madre de l’Espagnol Rodrigo Sorogoyen, réalisateur remarqué des thrillers Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2018). Son dernier film commence aussi comme un thriller mais prend vite un tout autre chemin. Après l’enlèvement et la disparition de son fils sur la côte basque française, une Espagnole est devenue gérante d’un restaurant sur la plage où a eu lieu le drame. Dix ans plus tard, elle est troublée par un adolescent ayant l’âge qu’aurait son fils s’il était vivant. Le cinéaste ne maintient aucun suspense forcé à ce sujet, on sait qu’il n’est pas son enfant. Le récit s’appuie essentiellement sur l’intensité de cette rencontre, à la fois belle et ambiguë, et ça fonctionne parce que le schéma psychologique prévisible fait place à la liberté plus inattendue des sentiments, d’autant qu’ils sont incarnés par deux excellents acteurs (Marta Nieto et Jules Porier) qui contribuent à les rendre vibrants. Echappant à la métaphore démonstrative et psychologisante que l’on serait en droit de craindre, Madre parvient ainsi à être un film véritablement au présent.

balloon«Balloon», de Pema Tseden, marie néoréalisme et onirisme. Photo DR

Balloon du cinéaste chinois d’origine tibétaine Pema Tseden, notamment réalisateur du remarqué Tharlo, le berger tibétain (2015), est de son côté un assez bel antidote au «world cinema» calibré pour l’Occident. Il n’est pas dénué d’afféteries, mais il frappe surtout par sa manière très particulière de marier néoréalisme et onirisme, comédie sociale et méditation métaphysique. Des jumeaux au sein d’une famille de bergers jouent avec les préservatifs de leurs parents, qu’ils prennent pour des ballons – comme il n’y en a plus chez eux, leur mère tombe enceinte – elle doit avorter à cause de la loi chinoise sur le contrôle des naissances, mais un lama annonce que l’enfant sera la réincarnation du père de son mari… Ce résumé indique combien cet entremêlement de plusieurs tonalités (documentaire, comédie, fantastique) et rapports à la réalité apparaît ici comme la condition même du peuple tibétain, écartelé entre tradition et modernité, croyances ancestrales et lois chinoises. La vivacité du film l’empêche de s’appesantir dans toute forme de folklore ou de contemplation convenue.

Tanière

Et puis, il y a les films inattendus parce que leur tournage relève d’une aventure unique, foncièrement singulière. C’est le cas de l’excellent Zumiriki de l’Espagnol Oskar Alegria. Pour réaliser son film, celui-ci s’est construit une cabane dans un coin isolé du Pays basque, près d’une rivière et face à une île engloutie dont ne dépassent plus que quelques arbres. Le lieu n’est pas choisi au hasard, c’est un territoire lié à sa famille, qu’il connaît depuis l’enfance. En passant quatre mois isolé dans sa tanière, il effectue donc un voyage dans sa propre mémoire, vers ses origines, autant qu’une exploration géographique, botanique et zoologique. Le tournage se confond avec l’expérience physique, scientifique et artistique entreprise par ce cinéaste qui déborde d’idées, si bien que le film oscille joyeusement entre le journal intime et le documentaire animalier, entre le land art et le scoutisme poétique. Inutile de préciser que cet essai un peu fou et foutraque nous stimule bien plus que tant de films ronds et clinquants que les festivals enfilent comme des perles.

M.U. (à Venise)

 

ParMarcos Uzal Envoyé spécial à Venise

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