«Viendra le feu», bûcher double

Published 03/09/2019 in Cinéma

«Viendra le feu», bûcher double
«Viendra le feu», d’Oliver Laxe.

Critique

Dans les pas d’un pyromane récidiviste, le film d’Oliver Laxe captive par sa vision onirique des métamorphoses d’une nature toute-puissante.

Viendra le feu s’ouvre sur une scène assez sidérante, quasi fantastique. Dans une forêt nocturne, éclairée de manière irréelle, de grands eucalyptus s’effondrent un à un, comme déracinés par un monstre gigantesque. Le ton est donné : le film s’intéressera d’abord aux mouvements et métamorphoses de la nature, ramenés ici à leur mystère premier, là où la raison n’a pas épuisé la fascination du visible.

Taiseux. Nous aurons très vite l’explication de cette étrange hécatombe d’arbres : le monstre est en fait deux gros bulldozers. Mais un autre mystère survient aussitôt : pourquoi arrêtent-ils soudain leur course face à un arbre au tronc beaucoup plus large et splendide que les autres ? Ce face-à-face entre les machines et le végétal suggère une sorte de soudain respect de la puissance humaine face à celle de la nature. La place de l’homme est ici précisée : la nature le domine, quoi qu’il fasse, il n’y est qu’un passant.

Amador, le protagoniste, sauvage et taiseux, «innocent» et «inadapté», selon les mots du cinéaste Oliver Laxe, paraît se tenir au cœur de ce rapport primitif entre l’homme et la nature, où soumission et destruction vont parfois de pair, comme dans un combat amoureux. Amador semble plus que tout autre connaître et éprouver le paysage dense du hameau de Galice où il vit avec sa mère et leurs vaches, tout en ayant pourtant fait de la prison pour avoir incendié une forêt. Le feu reviendra, sans que l’on sache vraiment si c’est par lui. L’important est que l’incendie participe à cette constante métamorphose de la nature, au même titre que les saisons, comme s’il en était la part tragique, la part de l’homme autant que celle du soleil. Nous n’en saurons pas beaucoup plus sur les liens profonds et impénétrables qui unissent Amador à ce paysage, aux bêtes au regard intense et aux éléments. A ce secret respecté jusqu’au bout revient en partie la captivante étrangeté du film.

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Mais ce récit minimal, aussi taciturne que son personnage, ne tiendrait pas autant s’il ne faisait pas preuve d’une telle densité documentaire. La beauté n’est pas ici que le fruit d’un admirable travail plastique allié à de sublimes musiques (de Vivaldi à Leonard Cohen, dont le cinéaste abuse peut-être un peu), elle naît d’abord des paysages mêmes, qu’Oliver Laxe connaît très bien pour avoir vécu dans ce coin de Galice entre 6 et 18 ans.

Non-acteurs. Le film puise aussi sa force dans un bel équilibre entre ethnographie et onirisme. Amador et sa mère, Benedicta, seraient sans doute des personnages trop chargés de symboles s’ils n’étaient pas incarnés par des non-acteurs assez bouleversants (Amador Arias et Benedicta Sánchez). Et c’est bien parce qu’elle est incroyablement présente, dans toute son humidité ou incandescence, froideur ou ardeur, et dans toutes ses nuances de couleurs, et non parce que cela a été décrété par un scénario ou construit de toutes pièces par un esthète, que la nature peut ici véritablement redevenir une énigme.

ParMarcos Uzal

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