La loutre d’Europe, «sentinelle» en reconquête

Published 15/09/2019 in https:2019/09/15/

Une loutre, en Biélorussie, à 30 km de Tchernobyl, le 13 mars 2016.

Chronique «L’âge bête»

Au bord de la disparition dans les années 80, le petit mammifère semi-aquatique recolonise petit à petit les cours d’eau hexagonaux. Pourtant, le mustélidé n’est pas encore tiré d’affaire.

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Saviez-vous que les loutres ont failli ne plus jamais nager dans nos cours d’eau ? Le petit mammifère aquatique, Lutra lutra de son nom scientifique, a en effet failli disparaître d’Europe occidentale à la fin du siècle dernier après des décennies d’«éradication organisée». «Au début du XXe siècle, on estime à partir des registres des chasseurs et des piégeurs qu’il y avait 30 000 loutres en France contre 1 500 à peine dans les années 80», souligne à ce propos René Rosoux, éco-éthologue retraité et auteur d’un ouvrage très complet (1) sur l’animal. C’est une régression sans pareille en Europe !»

Protégée depuis 1981

La raison principale de cette quasi-extinction ? La chasse et le piégeage de ce petit piscivore nocturne, à l’instar d’autres mustélidés aujourd’hui menacés tels le vison ou le putois d’Europe, un «gibier de choix» convoité pour sa fourrure dans l’entre-deux-guerres. «Dans les années 60, la pollution généralisée des eaux et les collisions routières ont fait le reste», complète l’ex-directeur scientifique du Muséum des sciences naturelles d’Orléans. D’ailleurs, il a fallu attendre 1972 pour que l’espèce ne soit plus chassable, puis 1981, pour qu’elle soit finalement protégée. «C’est avant tout cette protection, le fait de lui foutre la paix, qu’on ait plus le droit de la détruire, qui a permis sa reconquête», analyse à son tour Franck Simonnet, zoologue de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères spécialiste des loutres.

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Car, aujourd’hui, le lutriné européen, l’une des 13 espèces recensées à travers le monde, va beaucoup mieux. Depuis une trentaine d’années, cet animal nocturne et sédentaire a recolonisé patte après patte les rivières et autres zones humides hexagonales – dans l’ouest et le centre principalement –, «ce que personne n’aurait imaginé à l’époque, y compris les naturalistes». «La loutre revient dans une période d’érosion de la biodiversité, soulève encore René Rosoux. C’est d’autant plus remarquable que c’est une espèce fragile et sensible.»

Nouveaux risques

Comment expliquer cette reconquête inédite et spontanée ? Les scientifiques avancent à ce sujet plusieurs pistes d’élucidation : d’abord la qualité des eaux s’est un poil améliorée ces dernières années, de quoi favoriser le retour des poissons – des espèces invasives précisons, car les poissons d’eau douce sont aussi menacés de disparition –, ses proies. Ensuite, son habitat profite désormais d’une attention particulière et des politiques de conservations. Sans compter les plans loutres, dont le deuxième doit être prochainement validé par le ministère, qui visent la protection du mammifère. «C’est un animal qui a aussi une bonne capacité d’adaptation comme tous les carnivores qui sont assez opportunistes, ajoute Franck Simonnet. Cependant, la dynamique de l’espèce est très lente à cause d’une fécondité réduite et une mortalité forte et précoce.»

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D’ailleurs, les menaces pesant sur la loutre d’Europe en France n’ont pas disparu. «Toutes les loutres sont contaminées par les pesticides et métaux lourds que l’on retrouve dans les cours d’eau. Or on ne connaît pas leurs effets combinés. Il y a danger pour les loutres», avance par exemple le biologiste René Rosoux. Et puis, les conséquences du changement climatique, comme l’intensification des sécheresses, qui baissent le niveau et le débit des rivières et diminuent la productivité des poissons, sont autant de nouveaux risques à prendre en compte pour la survie de l’espèce. Sans oublier les collisions routières, première cause de mortalité de cette «sentinelle» de la biodiversité hexagonale qui jouit encore d’une bonne image. Et René Rosoux de conclure : «La loutre est porteuse d’un message d’espoir pour la biodiversité. Il dit qu’une espèce condamnée peut revenir si on maîtrise les pollutions et si on la protège.»

(1) La Loutre d’Europe, René Rosoux et Charles Lemarchand, éd. Biotope, 2019.

ParFlorian Bardou

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