Antoine Glaser : «Chirac considérait que tout ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique»

Published 29/09/2019 in https:2019/09/29/

Antoine Glaser : «Chirac considérait que tout ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique»
Jacques Chirac aux obsèques d’Omar Bongo à Libreville au Gabon, le 16 juin 2009.

Témoignage

Pour le journaliste et écrivain, Jacques Chirac a été la dernière incarnation de la Françafrique, malgré son mea culpa tardif.

«Notre ami, qui n’aimait ni nos bruits ni nos odeurs», rappelait cette semaine un quotidien burkinabé, en évoquant la mort de Jacques Chirac. Le journal aurait pu tout aussi bien évoquer «notre ami» qui, en 1990, considérait que «la démocratie est un luxe en Afrique». Et qui, treize ans plus tard, apportera son soutien au dictateur tunisien Ben Ali en affirmant que «le premier des droits de l’homme c’est de manger». Peu sensible donc aux revendications démocratiques sur le continent, Chirac y laisse, comme en France, un souvenir contrasté.

Quel autre haut responsable français a eu ainsi la franchise d’avouer publiquement qu’«une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique» ? C’était certes en 2008, un an après avoir quitté le pouvoir. Et le reproche vaut mea culpa pour celui qui, de la mairie de Paris jusqu’à l’Elysée, se révélera avant tout «le fidèle héritier du gaullisme considérant que tout ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique», rappelle Antoine Glaser, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur la politique française sur le continent (1).

«Quand il évoque le pillage de l’Afrique, il fait certainement référence aux ressources énergétiques : l’uranium, le pétrole, le manganèse. C’est le véritable enjeu pour la France, qui coopte les dirigeants amis contre un accès prioritaire à ces ressources», explique Glaser. «Quand il devient président, Chirac rappelle aux affaires son vieux mentor, Jacques Foccart, le monsieur Afrique du général de Gaulle. Avec Foccart dans l’ombre, Chirac est bien la dernière incarnation de cette Françafrique qui joue sur les relations personnelles avec les présidents, justifie qu’on soutienne le retour par la force de Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville. Permet aussi de faire du Gabon l’arrière-cour de toutes barbouzeries, même si Chirac avait un peu peur d’Omar Bongo, qui manipulait tous les hommes politiques français. A l’ONU, la France sait aussi qu’elle peut s’appuyer sur les 14 voix des pays africains du pré carré», ajoute le journaliste.

Avec Chirac, l’Afrique ce sont aussi les financements occultes, dont bénéficient, il est vrai, tous les partis politiques, via l’entreprise Elf. Ou encore la valse des mallettes, révélée en 2011 par l’avocat Robert Bourgi puis par l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, que Chirac refusera de soutenir «en partie par fidélité à Félix Houphouët-Boigny qui avait désigné un autre héritier», explique Glaser. Mais l’influence française est alors déjà en déclin. «Chirac a finalement été l’otage de la Françafrique, ce pacte avec le diable. Il n’a pas su comprendre qu’après la chute du mur de Berlin, l’Afrique aussi était en train de changer.»

Reste malgré tout le souvenir d’un président «réellement attaché aux gens, qui adorait les bains de foule, les accolades». Et qui fut «le premier à faire sortir les arts africains de l’ethnologie», avec la création du musée du Quai-Branly. Peut-être sa plus belle réussite.

(1) Dernier ouvrage paru : Nos Chers Espions en Afrique (Fayard, 2008).

ParMaria Malagardis

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