Graver le 5 novembre 2018 dans notre histoire commune

Published 07/11/2019 in https:2019/11/07/

Graver le 5 novembre 2018 dans notre histoire commune
Le 10 novembre 2018 à Marseille – Photo CHRISTOPHE SIMON / AFP

Tribune

Il y a un an, l’assemblée du quartier de Noailles, à Marseille, a donné naissance au Collectif du 5 Novembre. Ce samedi, ils rendront hommage lors d’une grande marche, «un an après», à leurs voisin·es disparu·es.

Tribune. Les mémoires sont des choses volatiles, chacun·e le sait. Les dates vous rappellent au passé lorsqu’elles se signalent à vous. Elles peuvent aussi s’oublier. Mardi était un jour particulier pour chaque Marseillais·e. Il y a un an, 8 de nos voisin·es disparaissaient sous les décombres de deux immeubles de la rue d’Aubagne, en plein centre-ville. Il a fallu la ténacité des journalistes locaux pour que nous que nous puissions avoir quelques informations solides sur les faits. La mairie, elle, s’est plongée dans un mutisme paniqué, puis dans une politique de contre-information à chaque fois démentie par les militant·es et les médias locaux. Faute de transparence, nous nous sommes d’ailleurs toujours demandé s’il n’y avait pas d’autres victimes dans l’un de ces immeubles, connu pour être un lieu occupé par des personnes sans-papiers que l’Etat laisse à l’abandon ici comme ailleurs.

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De quoi voulons-nous nous souvenir ? De nos voisin·es et des innombrables victimes du mal-logement, évidemment. Nous nous souvenons de ce 7 novembre où l’assemblée de notre quartier, Noailles, a donné naissance à notre collectif. Puis de ces marches qui ont rythmé le mois de novembre des Marseillais·es : le 10, jour de la marche blanche, et le 14, jour de la marche de la colère. Nous voulons aussi nous souvenir de Zineb Redouane, tuée par un lancer de grenade lacrymogène à sa fenêtre lors d’une manifestation populaire pour le logement que nous avions organisée le 1er décembre. De ces dates où toute une ville s’est soulevée et retrouvée, bien au-delà de ses seuls quartiers populaires, scandant «Gaudin assassin» sous les fenêtres de la mairie. Combien de dates oubliées ensuite ? De moments où Marseille s’est mis à former un cordon de solidarité là où les institutions ne faisaient pas leur travail ? 4 000 Marseillais·es ont depuis un an été délogé·es de leur appartement en péril. Encore 4 000 fois où nous avons fait acte d’humanité, où nous avons dû écrire nous-mêmes les politiques publiques et les imposer.

Il y a deux semaines, les violentes pluies sont venues nous rappeler que nous n’étions toujours pas à l’abri. Cette fois, l’Etat a décrété l’état de catastrophe naturelle pour permettre l’indemnisation des victimes, ce qui nous a été refusé un an plus tôt de peur que, sous la pluie, le monde regarde l’état de catastrophe sociale et politique de Marseille, laissant ainsi d’innombrables victimes sans un sou. Un an après, la mairie s’est permis un communiqué pour continuer à arguer que nos voisin·es sont mort·es des pluies. Quel cynisme insoutenable, comme si l’action politique ne devait pas protéger chaque habitant·e, quelle que soit la météo, comme si propriétaires et élu·es n’avaient pas failli à prendre soin de nos logements, comme si les pouvoirs publics ne pouvaient pas lutter contre l’impunité des marchands de sommeil un peu mieux qu’en mettant en place des numéros verts.

Plutôt que de lancer un plan de rénovation des 40 000 logements indignes que compte Marseille, la métropole prépare un plan de requalification destiné à déloger 6 000 personnes au moins (selon leurs propres rapports) et laisse à l’abandon au moins 68 immeubles-taudis appartenant à la mairie et que la presse a mis au jour récemment. Où iront ces occupant·es ? L’expérience nous a appris que beaucoup d’entre nous ne retrouveront jamais leur logement d’origine, ni leur quartier parfois tant chéri. Les pouvoirs publics préparent aussi un plan pour installer de nouveaux commerces, où l’on paiera 5 euros notre soda. Sans vouloir vexer nos ami·es parisien·nes, à Marseille, nous ne voulons pas ressembler à la capitale, ville où le peuple a été depuis longtemps éloigné du centre-ville. Notre Marseille vivante, populaire et accueillante, nous y tenons, nous la construisons, nous la faisons exister politiquement. Elle est un bastion que la France devrait regarder avec attention, un exemple d’une cité qui vit avec ses habitant·es, leurs qualités et leurs défauts, notre pluralité et notre diversité.

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Samedi, nous rendrons hommage lors d’une grande marche, «un an après», à nos voisin·es disparu·es. Nous graverons dans nos mémoires ces dates saillantes et celles oubliées. Nous inscrirons également une nouvelle date, celle d’un long combat à mener, pour les logements dignes. Ce combat, bien d’autres avant nous l’ont mené. Ce combat, nous le menons chaque jour depuis un an. Ce combat est pourtant devant nous, encore et encore. Nous inscrirons ce samedi nos actes de solidarité dans le marbre de l’histoire de Marseille et du pays. Les pluies tombent, les fissures s’ouvrent, les coudes se serrent. Les combats restent. Notre dignité se fait toujours plus tenace. L’espoir ne retombe pas, parce que nous, Marseillais et Marseillaises, le faisons vivre malgré nos élu·es, malgré les nuages menaçants que la catastrophe climatique nous charriera toujours plus fréquemment, malgré le mal-logement et les propriétaires indignes.

Ce combat ne concerne pas seulement Marseille. Chaque fois qu’un sans-abri meurt, qu’une personne sans-papiers n’a pas accès à un hébergement, qu’un locataire d’un logement social constate une nouvelle moisissure sur son mur, qu’une personne est expulsée à la veille de la trêve hivernale, partout en France des soulèvements populaires comme celui qu’a connu Marseille sont indispensables. Ces questions, que les politiques ne daignent pas traiter depuis des décennies, que les administrations ont rendues techniques, nous devons les faire renouer avec leur humanité, rappeler qu’elles sont avant tout incrustées dans nos intimités. Voilà notre cause commune, partout en France. Personne n’est malheureusement à l’abri. Nous connaissons toutes et tous un·e voisin·e qui, du jour au lendemain, pourrait perdre son logement à la suite d’un événement personnel, d’un licenciement, d’une difficulté à payer son crédit, son loyer.

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Il y a déjà eu trop de morts, trop de familles endeuillées, meurtries par le mal-logement. Les victimes de la rue d’Aubagne étaient des femmes de ménage, des étudiants, des vendeurs de cigarettes, des personnels hôteliers, des artistes, des simples gens à l’image de la ville. Les 4 000 personnes délogées sont des diplômé·es, des non-diplômé·es, des cadres, des journalistes, des ouvrier·es, des précaires, des hommes, des femmes, nos enfants, nos ancien·nes. Combien de temps faut-il pour qu’une ville, un pays se soulève ? Combien de morts faudra-t-il ? Le 9 novembre, nous appelons tout·es les habitant·es du pays à graver avec nous cette nouvelle date dans notre histoire populaire et à ne plus renoncer. A samedi !

ParCollectif du 5 novembre – Noailles en colère

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