«Les menaces constituent le principal mode de communication entre les Etats-Unis et l’Iran»

Published 09/01/2020 in https:2020/01/09/

«Les menaces constituent le principal mode de communication entre les Etats-Unis et l’Iran»
Après une photo de groupe avec les représentants des Etats-Unis, de l’Iran, de la Chine, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France et de l’Union européenne lors des discussions sur le nucléaire à Vienne, en juillet 2015.

Interview

Donald Trump a annoncé mercredi l’imposition de nouvelles sanctions sur l’Iran.

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Depuis mai 2018 et le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA en anglais), l’administration Trump a multiplié les salves de sanctions sur Téhéran. Précipitant l’économie iranienne dans une profonde récession : les exportations de pétrole se sont effondrées, l’inflation est galopante, et le rial a perdu la moitié de sa valeur en un an, dégradant fortement la vie quotidienne des Iraniens.

Conseillère au département du Trésor sous la présidence de Barack Obama, aujourd’hui au think tank Center for a New American Security, Elizabeth Rosenberg a notamment travaillé à l’élaboration de sanctions financières et dans le secteur de l’énergie sur l’Iran dans la période qui a précédé la signature du JCPOA. Conclu à Vienne en 2015, l’accord prévoyait la levée des sanctions économiques internationales sur l’Iran, en échange de la mise sous tutelle du programme nucléaire de Téhéran.

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Depuis mai 2018, l’administration américaine a réimposé des sanctions touchant tous les secteurs de l’économie iranienne. Quelle peut être la cible des nouvelles sanctions annoncées mercredi par Donald Trump ?

Vu la pression déjà mise sur l’Iran, on pourrait croire qu’il ne reste plus rien à faire, mais ce n’est pas le cas. Les Etats-Unis peuvent viser des officiels du régime, ou des individus politiquement connectés. Il s’agirait de sanctions surtout symboliques, pas particulièrement préjudiciables sur le plan économique, mais à ce stade les actions symboliques peuvent être très puissantes. L’autre option pour les Etats-Unis serait de cibler les importateurs chinois de pétrole iranien, qui le font en violation des sanctions américaines déjà en place. Cet automne, Washington s’en est pris à ces importateurs chinois, ce qui a causé beaucoup de turbulences dans le secteur énergétique, et compliqué l’accès aux devises de l’Iran.

Pourquoi l’administration Trump utilise-t-elle ce levier à ce stade ?

A l’origine, l’administration Trump a réimposé les sanctions pour tenter de forcer l’Iran à prendre des engagements supplémentaires sur ses activités d’enrichissement, et à faire plus de concessions sur ses activités régionales et son soutien au terrorisme. Ce qui est assez fascinant, c’est que dans le contexte actuel, on interprète l’imposition de nouvelles sanctions comme une pause, l’indication que de nouvelles hostilités de la part des Etats-Unis ne sont pas imminentes. Elles auront pourtant des conséquences sur l’économie iranienne.

Quel a été, jusqu’ici, l’impact sur l’Iran des sanctions américaines qui les ont visées ?

Il n’y a pas de méthode parfaite pour mesurer les effets des sanctions américaines sur l’économie iranienne, mais il existe différents indicateurs. Entre autres, la contraction très significative de la croissance, mesurée notamment par le FMI. On voit les chiffres de l’inflation grimper, ce qui a un impact fort sur la population. L’Iran a également été contraint de rehausser les prix du pétrole pour la vente domestique, ce qui a provoqué des soulèvements de masse dans le pays [selon Amnesty International, la répression de ces soulèvements par Téhéran a fait au moins 304 morts mi-novembre, ndlr].

L’ampleur et la portée des sanctions américaines actuelles sont-elles comparables à celles en place avant l’accord de 2015 ?

D’une certaine façon, cette période d’imposition de sanctions américaines est beaucoup plus dure. Les Etats-Unis ne se contentent pas de réimposer des sanctions mises en place dans le passé : ils en rajoutent de nouvelles. Washington s’attaque même à des secteurs jamais ciblés jusqu’ici, comme la nourriture ou la santé. Mais si l’on regarde cela du point de vue politique, ces sanctions sont plus faibles parce qu’elles sont unilatérales, et qu’elles n’engagent pas une large coalition réunissant les grandes économies du monde, d’accord pour acculer collectivement l’Iran. C’était précisément cette coalition politique qui avait forcé l’Iran à accepter les négociations qui ont permis la signature de l’accord sur le nucléaire en 2015. Et c’est vraisemblablement l’absence d’une telle coalition qui explique en grande partie pourquoi l’Iran tient tête aujourd’hui.

Qu’attendre de l’Union européenne et des autres pays encore signataires de l’accord sur le nucléaire iranien, en termes de sanctions ?

Ils regarderont attentivement jusqu’où va l’Iran. S’il viole véritablement les engagements pris dans le cadre du JCPOA, alors les signataires européens n’auront d’autres choix que de réfléchir à réimposer leurs propres sanctions économiques sur l’Iran.

Dimanche, Téhéran a annoncé une nouvelle étape de désengagement, en décidant de s’affranchir de la limite imposée par le JCPOA sur le nombre de centrifugeuses…

Parler est une chose, et les menaces constituent le principal mode de communication entre les Etats-Unis et l’Iran. Téhéran doit aussi défendre une certaine posture devant sa population. En pratique, l’Iran n’a pas encore fait le pas de trop en dehors de l’accord. Il n’a pas mis dehors les inspecteurs. Il n’a pas précipité l’enrichissement nucléaire. S’il le faisait, l’accord sur le nucléaire serait complètement mort, et les Européens ne pourraient plus maintenir leur position actuelle.

ParIsabelle Hanne, correspondante à New York

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