«Si tout se passe bien, nous aurons un vaccin pour une utilisation généralisée à l’hiver 2021-2022»

Published 19/03/2020 in https:2020/03/19/

«Si tout se passe bien, nous aurons un vaccin pour une utilisation généralisée à l’hiver 2021-2022»
Lors d’une séance de questions à Donald Trump, lundi.

Interview

Le vaccin contre le Covid-19 ne sera pas disponible pour le grand public avant douze à dix-huit mois minimum, selon Stéphane Bancel, PDG de la société américaine Moderna Therapeutics.

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Quel est le principe du vaccin développé par Moderna Therapeutics ?

La technologie de Moderna repose sur la molécule de l’ARN messager, qui est la molécule dans vos cellules qui transporte l’information génétique de votre ADN à la machine qui fabrique vos protéines. Pour nos produits, on code dans cette molécule l’instruction d’une ou de plusieurs protéines d’un virus. Quand on injecte ça en intramusculaire, comme pour un vaccin traditionnel, vos cellules du muscle lisent cette instruction, puis fabriquent la protéine qui est codée dans notre produit. Cette protéine du virus est ensuite présentée à votre système immunitaire, qui va comprendre qu’elle n’est pas normale et va fabriquer un anticorps dans le but de la neutraliser. Une fois immunisé avec cette technologie, en cas d’infection naturelle du virus, vous avez des anticorps qui reconnaissent cette protéine du virus, vont la neutraliser, et l’empêcher de se répliquer (ce qu’on appelle la période d’incubation). Ainsi, vous ne serez pas malades.

Plusieurs laboratoires dans le monde ont entamé une course contre la montre pour développer un vaccin contre le coronavirus. Comment avez-vous réussi à être les premiers à démarrer les essais cliniques ?

A titre de comparaison, lors de l’épidémie de Sras [syndrome respiratoire aigu sévère, autre maladie causée par un coronavirus, apparue en Chine en 2002, ndlr], il avait fallu vingt mois pour que le premier vaccin puisse démarrer les essais cliniques. Là, on a mis soixante-trois jours. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est la technologie que je viens d’expliquer. Le 11 janvier, quand les autorités chinoises ont publié la séquence génétique des protéines du coronavirus, nos équipes et celles du docteur Anthony Fauci [immunologiste américain, membre de l’équipe de la Maison Blanche dédiée à la lutte contre le coronavirus] au NIH ont pu décider quelles protéines du virus ils voulaient produire. Et le 13 janvier, ils ont sélectionné la séquence et finalisé le design du produit. Donc le vaccin a été fait en deux jours, sur ordinateur, sans jamais avoir le virus. C’est ça qui est extraordinaire : avec notre technologie, nous n’avons pas besoin des cellules du virus pour travailler, ni de passer des mois en usine avant de démarrer des essais cliniques.

Votre société avait déjà de l’expérience sur des coronavirus de la même famille que celui-ci.

C’est une autre raison pour laquelle nous sommes allés si vite : Moderna avait fait les travaux cliniques pour un vaccin contre le Mers [syndrome respiratoire du Moyen-Orient, coronavirus découvert en 2012 qui a fait plus de 1 000 morts surtout en Arabie Saoudite]. Quand on a vu la séquence du nouveau coronavirus, qui est de la même famille, on a pu avancer très rapidement, en sachant que ça avait une forte probabilité de marcher. Une fois le contrôle qualité finalisé et positif, la FDA [Food and Drug Administration, l’agence américaine des médicaments] nous a donné son feu vert en un temps record, début mars, pour qu’on commence les essais cliniques.

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Quelles sont les prochaines étapes ?

Un vaccin, c’est trois phases d’essais cliniques. La phase 1, c’est 50 à 100 personnes, pour tester aussi bien la sécurité du produit, sa tolérabilité, et son efficacité : est-ce qu’on peut démontrer que dans le sang des sujets qui ont fait l’étude, il y a des anticorps qui neutralisent le virus en l’empêchant de se répliquer ? Ensuite, la deuxième phase, ce sont des essais sur un groupe de 300 à 500 personnes : on étend le nombre de personnes exposées au produit pour s’assurer de sa sécurité. Avant de passer à la troisième phase, où l’on teste le vaccin sur 3 000 à 5 000 personnes.

Quel peut être le calendrier ?

On espère démarrer la phase 2 au printemps, et la phase 3 d’ici la fin de l’été. Si tout se passe bien, cela nous permettrait d’avoir un vaccin potentiellement approuvé l’année prochaine, pour une utilisation généralisée à l’hiver 2021-2022. D’ici là, la phase 3 nous permettrait, sous réserve de l’accord des autorités réglementaires, de faire du emergency use, c’est-à-dire de donner accès au vaccin au personnel soignant, en première ligne et infecté toute la journée, pour réduire les contaminations. Car la grosse inquiétude qu’ont les épidémiologistes spécialistes de l’infection, c’est l’hiver prochain. Même si on arrive à limiter les dégâts dans les semaines qui viennent en Europe et aux Etats-Unis, même si on parvient à faire en sorte que le système hospitalier n’explose pas complètement, l’épidémie, elle, va pousser dans les pays de l’hémisphère sud, où l’automne débute et où les cas de coronavirus démarrent en ce moment. Ce qu’on craint, c’est que l’hémisphère sud ait beaucoup d’infections pendant notre été, et qu’avec les voyages, le virus revienne en force ici l’hiver prochain.

Le président Donald Trump a tenté d’attirer aux Etats-Unis des scientifiques du laboratoire allemand CureVac, qui développe un vaccin contre le Covid-19, ou d’en obtenir l’exclusivité pour son pays en investissant dans l’entreprise. Avez-vous des contacts avec l’administration Trump ?

J’ai été invité à la Maison Blanche le 2 mars, avec une dizaine de directeurs généraux de sociétés thérapeutiques ou de vaccins. Nous avons des contacts très fréquents avec l’administration : Alex Azar [secrétaire à la Santé], comme Anthony Fauci, sont sur le dossier en permanence. On est tous dans le même bateau, devant cette catastrophe de santé publique qui est en train de se passer sous nos yeux.

ParIsabelle Hanne, correspondante à New York

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